Salaire décent : comment ces entreprises françaises membres du Pacte mondial de l’ONU ouvrent la voie - Michelin, L'Oréal et Schneider Electric
Rémunérer correctement ses salariés partout dans le monde en tenant compte du coût de la vie et de la situation économique du pays d’implantation de l’entreprise est un enjeu important de 3 entreprises pionnières en France. Schneider Electric, L’Oréal et Michelin ont adopté le salaire décent pour l’ensemble de leurs salariés et souhaitent l’étendre à leurs fournisseurs.
Qu’est-ce que le salaire décent ? Comment est-il calculé ?
La définition communément admise du living wage (traduit par salaire décent) est un revenu suffisant pour assurer un niveau de vie décent à un travailleur et à sa famille. Les besoins fondamentaux sont pris en compte : nourriture, eau, logement, éducation, soins de santé, transport, habillement ainsi que la constitution d’une épargne de précaution. Le texte fondateur de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) de 1919, évoquait déjà la notion de « garantie d’un salaire assurant des conditions d’existence convenables ». Le salaire décent est une des clés pour l’atteinte des ODD 1 et 8.
Le salaire décent se distingue du salaire minimum et peut représenter « plus du double du minimum légal exigé dans certains pays », précise Frédéric Pinglot, Vice-Président responsable Droits humains chez Schneider Electric. Contrairement au revenu minimum, qui est parfois fixé sans tenir compte des conditions de vie réelles, le salaire décent est basé sur le coût de la vie locale.
Schneider Electric, L’Oréal et Michelin s’appuient sur les travaux de l’organisme indépendant Fairwage Network pour définir les niveaux de salaire décent.
« Plusieurs outils, dont Fairwage Network ou Wage Indicator, fournissent des seuils de salaire décent dans les différents pays, qu’ils calculent en fonction des postes de dépenses essentielles telles que la nourriture, la santé ou le logement », précise Maxime Belingheri, Responsable Droits humains du groupe l’Oréal. Ces outils s’avèrent précieux pour mesurer de manière effective les conditions de vie des travailleurs, lutter contre la pauvreté et prendre en compte la dignité humaine.
Pour Martine Bourcy Reiss, qui a accompagné la mise en place du salaire décent dans le groupe Michelin, la traduction de “living wage” en français par « salaire décent » semble d’ailleurs moins pertinente que « rémunération pour vivre ».
Le Pacte mondial soutient le salaire décent
En 2023, le Pacte mondial des Nations unies fait du salaire décent l’un des axes de son initiative Forward Faster. Ce programme, qui vise à accélérer les actions des entreprises pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), les encourage à intensifier leurs efforts dans cinq domaines clés : le climat, l’égalité des genres, le salaire décent, la finance durable et la gestion de l’eau.
La traduction de “living wage” en français par « salaire décent » semble d’ailleurs moins pertinente que « rémunération pour vivre ».
– Martine Bourcy Reiss
La mise en place progressive du salaire décent chez Michelin, L’Oréal et Schneider Electric
Pour Michelin, L’Oréal ou encore Schneider Electric, la mise en place du salaire décent s’est effectuée par étapes. Schneider Electric s’empare du sujet dès 2018 en travaillant avec BSR, une société de conseil. « À l’époque, les grilles de salaire décent et les méthodologies étaient encore en phase de conception », rappelle Frédéric Pinglot (Schneider Electric). « Nous avons commencé par un nombre de pays restreint. Le processus a pris un an, l’idée était de comprendre comment cela fonctionnait, quels étaient les implications et les coûts. Puis en 2019-2020, nous avons étendu le périmètre et l’avons appliqué à 100 % des CDI de plus de 1 an, ce qui représentait environ 90 % des employés. En 2021, avec le nouveau programme RSE “Schneider Sustainability Impact”, nous avons souhaité l’étendre à nos fournisseurs stratégiques (environ 800 entreprises). »
L’équipementier et fabricant de pneumatiques français, Michelin, annonçait quant à lui en avril 2024 l’instauration d’un salaire décent pour tous ses employés dans le monde (130 000 personnes), y compris sur le sol français. Le calcul du salaire décent reposait là encore sur les travaux de Fairwage Network. « Le concept n’était pas nouveau, nous avons cherché un partenaire pour y travailler dès 2019. Après un projet pilote réalisé avec quelques sociétés du Groupe en 2020, la décision de mettre en œuvre cette garantie d’une rémunération au moins équivalente au salaire décent pour tous nos salariés a été prise en juillet 2021. Le groupe Michelin a souhaité avancer rapidement et nous avons communiqué régulièrement sur nos progrès jusqu’à l’obtention, en décembre 2023, de la certification Global Living Wage Employer par l’entreprise. Cette garantie constitue désormais l’un des éléments fondamentaux de notre politique de rémunération et plus largement de notre politique sociale, au côté par exemple de notre socle universel de protection sociale, Nous avons associé à nos réflexions notre Comité des parties prenantes en 2020, et présenté notre politique au Comité Monde et Comité européen du groupe Michelin. » commente Martine Bourcy Reiss, Risk Manager des risques sociaux du groupe et responsable du programme mondial Living Wage du groupe Michelin entre 2019 et 2024.
Quant à L’Oréal, « Nos efforts concernant le salaire décent remontent à 2020 et nous sommes accrédités « Global Living Wage Employer » depuis 2023», nous confie Maxime Belingheri. « Un salarié L’Oréal doit être payé un salaire décent, c’est un must-have. » L’Oréal actualise les salaires régulièrement . Concernant les salariés de ses fournisseurs stratégiques, L’Oréal a également lancé en 2022 un programme pilote rassemblant ses fournisseurs avec pour objectif d’explorer le principe du salaire décent, et de les accompagner dans cette trajectoire : 100% des fournisseurs stratégiques de L’Oréal ont eu accès à une formation sur ce sujet en 2025. L’engagement d’une grande entreprise peut avoir des impacts vertueux tout au long de sa chaîne de valeur.
Comment être sûr que le salaire décent soit appliqué, notamment dans les pays où les droits humains ne sont pas toujours respectés ?
Chez Schneider Electric, un cadre de travail décent peut se mettre en place de manière progressive« Nous avons défini 3 niveaux de travail décent (basique, intermédiaire, avancé). Tous nos fournisseurs stratégiques, ce qui représente environ 800 entreprises dans le monde sur nos quelques 53 000 fournisseurs, doivent arriver au premier niveau. On leur demande à ce stade de s’engager à mettre en place une politique sur le salaire décent. Il n’y a pas de sanction, nous cherchons à les convaincre de l’intérêt de travailler ensemble sur ces sujets afin de renforcer la résilience de nos chaînes de valeur. L’objectif est d’abord de sensibiliser. Par ailleurs, afin de faciliter la mise en œuvre pour toute société souhaitant s’engager dans cette démarche, nous facilitons également l’accès à une base de données gratuite de salaire décent en soutenant la fondation WageIndicator », précise Frédéric Pinglot.
On leur demande à ce stade de s’engager à mettre en place une politique sur le salaire décent.
– Frédéric Pinglot
Pour ses salariés, le groupe L’Oréal a pris le parti de s’appuyer sur un système de reporting annuel des salaires. Si un décalage entre salaire versé et le salaire décent calculé par FairWage Network est constaté, cela donne lieu à un ajustement. « Concernant les fournisseurs, beaucoup ne savent pas encore ce qu’est le salaire décent. Il y a un énorme besoin d’apprentissage. En 2022, nous avons lancé un programme pilote pour embarquer les fournisseurs. À l’issue du programme, on demande au fournisseur de s’engager formellement à signer un “Pledge” (Engagement) de travailler sur le salaire décent pour ses salariés », ajoute Maxime Belingheri. Enfin, dernière initiative pour conforter le dispositif : dans l’évaluation annuelle de la performance des fournisseurs, le groupe a intégré le critère du salaire décent. « Nous soutenons aussi l’accessibilité publique de bases de données de salaire décent, comme le projet de la WageIndicator Foundation.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés dans la mise en place du salaire décent ?
Pour Michelin, si la mise en place du salaire décent s’avère indispensable pour créer des conditions de vie acceptables, Martine Bourcy Reiss souligne que la mise en œuvre du salaire décent demande parfois un délai de 18 à 24 mois, pour identifier et mettre en œuvre les actions nécessaires tout en préservant la performance de la société . « Certaines sociétés ont des marges faibles et opèrent dans un univers très concurrentiel. Comment convaincre les entreprises à s’engager lorsque le salaire décent représente 2 ou 3 fois le salaire minimum local défini par la loi ou par une convention collective ? Un accompagnement de ces sociétés est nécessaire, avec des objectifs et délais précis» précise Martine Bourcy Reiss.
Frédéric Pinglot chez Schneider Electric confirme que la compétitivité des entreprises peut être un point de blocage. « Nous ne sommes pas le seul client de nos fournisseurs. S’il met en place le salaire décent, il devra étudier sa répercussion sur ses prix et sa propre stratégie d’achats. Cela doit donc se faire progressivement. Les gouvernements et les syndicats doivent accompagner la démarche. Depuis que le Pacte mondial essaie de démocratiser le concept, cela progresse dans les esprits. Il a fallu pas mal d’années pour que cette initiative soit promue. Si on veut passer à l’échelle, en termes d’impact, c’est significatif. »
Depuis que le Pacte mondial essaie de démocratiser le concept, cela progresse dans les esprits. Il a fallu pas mal d’années pour que cette initiative soit promue. Si on veut passer à l’échelle, en termes d’impact, c’est significatif.
– Frédéric Pinglot
Pour Maxime Belingheri chez L’Oréal, « l’idée est d’engager nos fournisseurs, les accompagner dans une approche d’amélioration continue ».
Si le problème de la compétitivité est soulevé dans la mise en place du salaire décent, d’autres difficultés demeurent dans certaines entreprises comme l’industrialisation des process de mise à jour des salaires décents. Il y a encore beaucoup de calculs manuels dans de nombreux pays. La mise à jour des salaires s’effectue en principe une fois par an.
Enfin, il reste compliqué de vérifier si les fournisseurs appliquent réellement le salaire décent pour leurs salariés. Ainsi, les lois sur la protection des données personnelles peuvent compliquer une telle vérification.
Les points positifs de l’application du salaire décent, telles que les augmentations de productivité et de la rétention des talents doivent être valorisés afin de convaincre davantage d’entreprises.
L’idée est d’engager nos fournisseurs, les accompagner dans une approche d’amélioration continue.
– Maxime Belingheri
Pourquoi mettre en place le salaire décent ?
– Réduction de la précarité et amélioration de la qualité de vie des employés
– Réduction de la différence de rémunération entre les hommes et les femmes « gender pay gap »
– Meilleure productivité et engagement au travail
– Réduction de la dépendance aux aides publiques
– Renforcement du pouvoir d’achat et stimulation de l’économie locale
– Meilleure image pour les entreprises qui mettent en place le salaire décent, ce qui favorise l’attraction des talents et la confiance des clients
– Une obligation qui va s’imposer aux entreprises soumises à la CSRD
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