Chapitre 1
La genèse de l’initiative
La vision de Kofi Annan
© UN Photo, Jean Marc Ferré
Corinne Momal-Vanian
Corinne Momal-Vanian dirige la Fondation Kofi Annan. Auparavant, elle a occupé divers postes à responsabilité et travaillé dans différents pays pour les Nations unies.. Corinne Momal-Vanian a notamment été assistante spéciale de Kofi Annan entre 2005 et 2006.
“Malgré sa courtoisie légendaire, ses talents diplomatiques et sa voix posée, Kofi Annan était un innovateur et même parfois un iconoclaste.”
Comment les valeurs de Kofi Annan vivent-elles encore aujourd’hui sur la scène internationale ?
– +Les valeurs de Kofi Annan vivent très concrètement au travers des nombreuses institutions et mécanismes multilatéraux dont il a été l’instigateur. Citons tout d’abord le Conseil des Droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies. Si le Conseil a hérité de certaines contraintes qui avaient affaibli avant lui la Commission des droits de l’homme, il est devenu un organe incontournable en matière de protection et promotion des droits de l’homme, surtout par l’Examen Périodique Universel auquel doivent se soumettre tous les états. Et alors que le Conseil de sécurité est plus ou moins paralysé par l’antagonisme croissant entre grandes puissances et le droit de veto, le Conseil des droits de l’homme lui est de plus en plus actif, au point que ses sessions ont dû récemment être prolongées.
Kofi Annan a aussi beaucoup œuvré pour la mise en place du Fonds Mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui a fêté ses 20 ans l’an dernier. Il y a 20 ans, rien ne semblait pouvoir arrêter ces épidémies meurtrières, mais sous l’impulsion de Kofi Annan, un élan de solidarité et le soutien de leaders déterminés ont permis de créer le Fonds mondial. « La première fois que m’est venue l’idée du Fonds mondial, les gens disaient que je rêvais… Mais j’adore les rêves. Tout commence toujours par un rêve. » a dit Kofi Annan à ce propos. On estime que le Fonds mondial a permis de sauver 50 millions de vies.
Et bien sûr, Kofi Annan a établi le Pacte mondial des Nations Unies !
© Fondation Kofi Annan
“Kofi Annan a véritablement abattu les barrières qui empêchaient le secteur privé de jouer le rôle indispensable qui doit être le sien dans la réalisation d’abord des Objectifs du Millénaire, et maintenant de l’Agenda 2030.”
– Corinne Momal-Vanian
Comment œuvrez-vous, au sein de la Fondation, pour valoriser son héritage ?
– +La Fondation a été établie par Kofi Annan lui-même, après la fin de son mandat de Secrétaire général, car il avait encore beaucoup de projets à accomplir pour « bâtir un monde plus juste, et plus paisible » (devise qu’il avait choisie pour la Fondation). Bien qu’il l’ait voulue petite et réactive, la Fondation a rapidement acquis une solide réputation dans les domaines d’une part de la défense de la démocratie et de l’intégrité électorale, et d’autre part du leadership des jeunes pour la prévention de l’extrémisme violent et la consolidation de la paix. Aujourd’hui, la Fondation valorise d’abord l’héritage de Kofi Annan au travers des programmes qu’elle gère dans ces domaines, sur plusieurs continents.
En outre, nous avons toute une gamme d’activités que nous appelons « Vision Annan » dont le but est précisément de rappeler et faire mieux connaître les actions et les valeurs de Kofi Annan, et d’expliquer leur pertinence face aux enjeux actuels. Nous organisons ainsi chaque année une « Kofi Annan Lecture » en marge de la session de l’Assemblée générale qui permet à une personnalité de haut niveau de présenter de nouvelles idées ou définir de nouveaux programmes de coopération internationale, en rappelant le rôle de Kofi Annan dans la promotion d’une coopération fondée sur des règles communes et des solutions durables. Une autre conférence de haut niveau, la Kofi Annan Geneva Peace Address est aussi organisée à Genève pendant la « Semaine de la Paix ». D’autre part, de nombreux « Prix Kofi Annan » sont remis chaque année, comme le Prix Kofi Annan de la Jeunesse pour la Démocratie, le Prix de l’Innovation en Afrique etc…et des bourses Kofi Annan sont attribuées à l’université d’Oxford. Tout ceci permet de faire vivre ce nom tout en inspirant les générations actuelles à agir pour la paix, la justice et la solidarité.
Enfin, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’attribution du prix Nobel de la Paix à Kofi Annan, nous avons produit un podcast intitulé « Kofi Time » dont les épisodes rappellent l’action de l’ancien Secrétaire général dans des domaines clés tels que la lutte contre la faim, le règlement des conflits, la santé etc.
Reconnu pour son travail pour la paix et le multilatéralisme, Kofi Annan est aussi l’homme qui a rapproché les entreprises et l’ONU. En 2018, Georg Kell rendait hommage au Secrétaire général, disant notamment de lui qu’il était père de la RSE moderne. Comment perpétuez-vous cette facette de son héritage ?
– +Georg Kell a raison quand il souligne le rôle majeur que Kofi Annan a eu dans la RSE. Malgré sa courtoisie légendaire, ses talents diplomatiques et sa voix posée, Kofi Annan était un innovateur et même parfois un iconoclaste. Il a véritablement abattu les barrières qui empêchaient le secteur privé de jouer le rôle indispensable qui doit être le sien dans la réalisation d’abord des Objectifs du Millénaire, et maintenant de l’Agenda 2030. Il a fait sauter un tabou, en reconnaissant clairement que les organisations multilatérales devaient établir des partenariats avec les acteurs privés pour résoudre des problèmes de santé publique, d’emploi, et d’infrastructure par exemple, tout en les appelant à se conformer aux normes internationales en matière des droits de l’homme ou de protection de l’environnement.
Et beaucoup de partenariats ont de fait été créés ces vingt dernières années. Mais il ne faut pas prendre ce progrès pour acquis. Il existe malheureusement un courant politique fort contre la RSE dans plusieurs pays, y compris une « Alliance anti-RSE ». Si ce mouvement est certainement poussé par des idéologues et par ceux qui veulent ralentir la transition énergétique et l’abandon des énergies fossiles, les inégalités socio-économiques croissantes qui ont marqué cette dernière décennie risquent aussi de recréer à l’autre extrémité de l’éventail politique une grande méfiance vis-à-vis du secteur privé et surtout des grandes entreprises multinationales.
La Fondation, quant à elle, continue de penser comme son fondateur que les grands enjeux du moment, tels que le changement climatique, la pauvreté, la faim, et les défis technologiques, ne peuvent être affrontés qu’en collaboration avec tous les secteurs sociétaux, y compris les entreprises privées. Quand nous abordons par exemple les thèmes de la désinformation et des discours haineux et de leur impact sur la démocratie, nous n’hésitons pas à dialoguer avec les grandes plateformes numériques… tout en applaudissant les efforts entrepris par l’Union Européenne pour réguler les services numériques et mettre ces plateformes face à leurs responsabilités. Et nous collaborons à certains projets qui encouragent et soutiennent l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes en Afrique, car nous savons que c’est la clef de l’innovation technologique et de l’emploi.
Le rôle central des initiatives volontaires
© UN Global Compact Network Germany, Konstantin Börner
Georg Kell
Georg Kell est le premier Directeur général du Pacte mondial des Nations Unies. Il a occupé ce poste de 2000 à 2015 et préside désormais Arabesque Partners, société de gestion avec une approche d’investissement responsable.
“L’incapacité des États à collaborer pour relever les défis urgents liés au bien commun offre aux entreprises l’occasion de combler les vides et de démontrer aux détenteurs du pouvoir que l’humanité doit apprendre à collaborer pour préserver notre avenir collectif.
Quel a été le rôle du gouvernement français dans le développement du Pacte mondial des Nations Unies ?
– +Le gouvernement français a joué un rôle très important aux débuts de l’initiative. Après le lancement du Pacte mondial au siège de l’ONU en juin 2001 – en présence d’une cinquantaine d’entreprises – l’initiative avait du mal à prendre de l’ampleur. La situation a changé lorsque l’ancien président Jacques Chirac a invité Kofi Annan à une réunion à l’Élysée, avec des entreprises françaises de premier plan. Tout a commencé par un petit-déjeuner. Chacun des chefs d’entreprise a pu trouver devant lui, sur son siège, une lettre dans laquelle il s’engageait à respecter les Dix principes du Pacte mondial. Les chefs d’entreprise, surpris, ne savaient que faire de cette lettre. Par l’intermédiaire de son conseiller Jérôme Monod, le Président Chirac a clairement indiqué qu’il attendait de chaque PDG qu’il signe cette lettre, tout simplement !
Après le petit-déjeuner et les discours du Président Chirac et de Kofi Annan, expliquant chacun pourquoi les entreprises françaises devraient soutenir le Pacte mondial, les deux se sont retirés pour un entretien bilatéral. Un dialogue ouvert s’est alors instauré avec les PDG. Le moment le plus embarrassant de ma vie a suivi, car j’ai surestimé mes compétences linguistiques et je n’ai pas pu répondre aux questions en français.
Malgré cela, un grand nombre de chefs d’entreprise présents ont rejoint le Pacte mondial, ce qui a donné un élan considérable à la croissance de l’initiative. Cette réunion a sans aucun doute marqué un tournant pour le Pacte mondial. Le gouvernement français a également soutenu le Pacte mondial au siège de l’ONU, en contribuant à éviter un déraillement politique, et a appuyé la mention du Pacte mondial dans plusieurs communiqués du G7.
Trois Français méritent une mention spéciale. Tout d’abord, Conrad Eckenschwiller, qui a non seulement soutenu Jérôme Monod lors de la réunion historique à l’Élysée, mais qui a également été un pionnier dans la mise en place du réseau français. Ses conseils, sur la croissance du réseau et les relations entre le siège du Pacte mondial et les réseaux locaux, ont été précieux dans la construction de l’initiative. Je pense également à Claude Fussler. Ancien cadre de DuPont, il fut conseiller principal du WBCSD et est devenu un ami proche et un partisan de l’initiative au fil des ans. Ses connaissances et sa perspicacité ont été essentielles pour mettre l’initiative sur les bons rails. C’est également lui qui a écrit le premier livre sur le Pacte mondial, “Raising the Bar”, qu’il a remis à Kofi Annan en 2004 lors de notre premier sommet mondial au siège de l’ONU. Enfin, il y a François Perigot, le président de l’Organisation internationale des employeurs. Son soutien précoce au Pacte mondial – je l’ai consulté lors de la préparation du discours de Kofi Annan en 1999 à Davos – a non seulement permis aux fédérations d’employeurs de ne pas s’opposer au Pacte mondial, mais a également contribué à ouvrir des portes dans de nombreux pays du Sud.
Comment le Pacte mondial a-t-il accompagné l’essor de la notion d’ESG ?
– +Le Pacte mondial fut à l’initiative du mouvement ESG et du développement du concept d’investissement responsable, en intégrant les facteurs ESG dans l’analyse des investissements et la prise de décision. Très tôt, il est apparu clairement que si les investisseurs ne soutenaient pas les entreprises, il serait alors difficile d’établir le bien-fondé de l’action du Pacte mondial. Ce long parcours a débuté en janvier 2004 lorsque Kofi Annan, malgré les tragédies entourant la guerre menée par les États-Unis contre Saddam Husein, a accepté de signer des lettres invitant 55 dirigeants des plus grandes institutions financières du monde. Avec le soutien de la Société financière internationale (IFC) et le financement de la Suisse, nous avons créé un groupe de travail chargé d’étudier la manière dont les questions environnementales, sociales et de gouvernance peuvent être intégrées dans le processus d’investissement. Le groupe de travail, coordonné par le Pacte mondial, s’est réuni plusieurs fois entre mars et mai 2004, et a produit un rapport intitulé “Who Cares Wins” qui a établi les bases du mouvement ESG dans le monde. Sur la base de ce rapport, le Pacte mondial, en coopération avec le PNUE, a lancé les PRI (Principes pour l’investissement responsable) en 2006 à la Bourse de New York, en présence de Kofi Annan. Pendant les deux premières années, les PRI ont été gérés par le Conseil d’administration jusqu’à ce que l’initiative construise sa propre structure de gouvernance. Le Pacte mondial a également lancé la Sustainable Stock Exchange Initiative et les Principles for Responsible Management Education en 2007, afin d’influencer de manière plus large l’environnement des entreprises responsables.
© UN Global Compact – Michael Dames
“Pour les entreprises, les Dix principes universels constituent une étoile polaire.”
– Georg Kell
En quoi l’adhésion au Pacte mondial des Nations Unies permet-elle aujourd’hui aux entreprises de mieux répondre aux enjeux de responsabilité sociétale ?
– +La guerre est présente sur le continent européen.. Les États-Unis ont décidé de ne pas permettre à la Chine d’affaiblir leur hégémonie et plusieurs autres blocs de pouvoir régionaux ont émergé. L’Europe n’a toujours pas développé ses propres capacités. Le protectionnisme et le nationalisme économique, ainsi que les récits de peur et de haine, sont en hausse, tandis que la volonté de collaborer entre les régions et les blocs de pouvoir diminue. Le système fondé sur des règles créé après la Seconde Guerre mondiale est en train de se désintégrer, car les politiques de pouvoir dangereuses et à court terme l’emportent désormais sur les marchés. Le Pacte mondial dispose d’un grand potentiel pour contrer ces tendances dangereuses. Pour les entreprises, les Dix principes universels constituent une étoile polaire. En redécouvrant leur applicabilité universelle – indépendamment des cultures ou des systèmes politiques – et en les intégrant à la stratégie et aux opérations, les entreprises disposent d’une base solide pour naviguer dans les eaux troubles de la politique. En outre, en s’engageant dans des chantiers thématiques au-delà des clivages idéologiques, en collaborant pour lutter contre le changement climatique et l’exclusion sociale, les entreprises peuvent combler certains des vides laissés par l’inaction des gouvernements et, ce faisant, donner un exemple qui, espérons-le, contrera également les voix de la discorde.
Le Pacte mondial des Nations Unies reste-t-il pertinent dans un contexte de renforcement réglementaire en matière de RSE dans de nombreux pays ?
– +Le Pacte mondial a perdu une partie de son influence normative au cours des dernières années. Le Pacte mondial et ses principes faisaient partie des déclarations internationales, notamment du G7/8/20, des directives de l’UE et de nombreuses politiques nationales. Aujourd’hui, nous assistons à une fragmentation réglementaire où différents blocs économiques travaillent à des vitesses différentes et avec des objectifs différents. Raviver le pouvoir normatif des Dix principes pourrait contribuer à contrer la tendance actuelle à la fragmentation politique et réglementaire. Ce n’est pas facile à réaliser, mais vaudrait la peine d’y consacrer un effort sérieux. Indépendamment de la cohérence réglementaire, les principes du Pacte mondial offrent une base éthique solide aux entreprises, où qu’elles opèrent.
Comment imaginez-vous le futur du Pacte mondial ?
– +Le Pacte mondial est l’une des rares organisations mondiales à ne pas être capturée par des intérêts de pouvoir. Sa gouvernance, établie en 2004, combine le global et le local, la sphère publique et la sphère privée et s’est avérée suffisamment résiliente et flexible pour s’adapter à des contextes changeants. Grâce aux Dix principes, les entreprises participantes sont les garantes des meilleures leçons que l’humanité aurait dû tirer des erreurs du passé. Lorsque la Chambre de commerce internationale a été créée en 1919 après la Première Guerre mondiale, ses membres se sont qualifiés de marchands de paix. Aujourd’hui, les entreprises ayant rejoint le Pacte mondial sont des ambassadrices de l’espoir, parce qu’elles maintiennent en vie les principes universels qui constituent notre patrimoine collectif de leçons historiques.
Je distingue trois voies possibles pour l’avenir du Pacte mondial. Premièrement, l’initiative doit développer une voix qui s’élève contre la haine et la division et qui recadre son engagement comme faisant partie d’un mouvement mondial dans la meilleure tradition des Nations unies : la paix, les droits de l’homme et le développement durable. Pour ce faire, il faudrait également s’élever contre les discours alarmistes, les fausses nouvelles et les propagandes qui visent à diviser. Deuxièmement, l’incapacité des États à collaborer pour relever les défis urgents liés au bien commun offre aujourd’hui aux entreprises l’occasion de combler les vides et de démontrer aux détenteurs du pouvoir que l’humanité doit apprendre à collaborer si nous voulons préserver notre avenir collectif. La collaboration autour de la décarbonisation et de l’inclusion sociale entre les réseaux locaux est aujourd’hui très demandée. Pour éviter de céder aux forces de la peur et de la haine, il est désormais nécessaire de tisser des liens au-delà des clivages culturels et politiques, en favorisant le respect mutuel tout en évitant le moralisme hypocrite. Troisièmement, la redécouverte de l’universalité des Dix principes et leur codification dans des récits politiques peuvent contribuer à garantir que nous n’oublions pas les leçons de l’histoire.
Un réseau à lancer en France
© Christophe Petit-Tesson
Conrad Eckenschwiller
Conrad Eckenschwiller a été Représentant permanent du Pacte mondial en France puis Délégué Général du réseau, de 2003 à 2013. Il avait auparavant conduit une carrière industrielle et commerciale dans de nombreux pays, dans plusieurs activités et entreprises.
“Le Pacte mondial a été lancé en France par Jacques Chirac, le décideur, Jérôme Monod, le metteur en scène, et moi-même, l’exécutant.
Comment le Pacte mondial a-t-il été lancé en France ?
– +Le Pacte mondial s’est développé en France à la suite d’une initiative politique lancée par Jacques Chirac, alors président de la République. En novembre 2002, Jacques Chirac a exprimé à Kofi Annan son intention de mettre l’accent sur la solidarité et l’esprit de responsabilité des États et des acteurs économiques lors du prochain sommet du G8, qui allait se tenir à Évian en juin 2003. Le Secrétaire général de l’ONU avait alors indiqué au président de la République que la faible participation du secteur privé français au Pacte mondial venait en contradiction avec les thèmes retenus pour ce sommet. Jacques Chirac ne pouvait pas risquer de mobiliser le G8 autour des questions de responsabilité des entreprises alors que les sociétés françaises n’étaient pas engagées en faveur des principes du Pacte mondial. Il a donc confié à son conseiller, Jérôme Monod, la mission de veiller à ce qu’au moins 20 entreprises françaises adhèrent au Pacte mondial avant le sommet d’Évian.
Pour moi, tout a commencé un soir de novembre 2002, lorsque j’ai reçu un appel de Jérôme Monod qui me conviait à un petit-déjeuner à l’Élysée le lendemain matin. Je travaillais déjà à ses côtés, en l’accompagnant comme « sherpa » dans son rôle de coprésident du European Round Table, un groupe de grands dirigeants européens œuvrant en faveur du dialogue économique transatlantique. Lors de ce petit-déjeuner, Jérôme Monod m’a restitué les échanges de la veille entre Kofi Annan et Jacques Chirac autour du sommet du G8, et m’a proposé de l’aider à faire émerger le Pacte mondial en France. En arrivant à mon rendez-vous suivant, que j’avais dû décaler de quelques minutes, j’ai découvert que l’Élysée avait fait parvenir un message, qui précisait : « The French Presidency informs you that Conrad Eckenschwiller is likely to be slighty late ». Mon interlocuteur pensait que je sortais d’un entretien en tête-à-tête avec Jacques Chirac. Vingt ans plus tard, je dois avouer que cela a grandement facilité ma négociation ce jour-là.
“Le Pacte mondial permet de prendre de l’avance et de se conformer dès aujourd’hui ce qui figurera dans le droit dans cinq ans.”
– Conrad Eckenschwiller
Comment êtes-vous parvenus à mobiliser les entreprises françaises autour des Dix principes du Pacte mondial ?
– +Notre objectif était de rassembler rapidement 20 entreprises signataires. Dans un premier temps, nous avons logiquement ciblé les dirigeants du CAC 40. Le 20 décembre, j’ai été informé que le président de la République les conviait à l’Élysée début janvier. Le délai était très serré, mais comme Jérôme Monod avait usage de rappeler, la France reste une monarchie républicaine : 26 dirigeants du CAC 40 ont pu se libérer. Jacques Chirac leur a présenté son projet et les a renvoyés vers Jérôme Monod et moi-même pour les questions pratiques. En résumé, le Pacte mondial a donc été lancé en France par Jacques Chirac, le décideur, Jérôme Monod, le metteur en scène, et moi-même, l’exécutant. Francis Mer, ministre de l’Économie et des Finances de 2002 à 2004, fait également partie de ceux qui ont appuyé le développement de l’initiative.
Je ne disposais au départ que de très peu d’informations précises sur le Pacte mondial. Muni des ordres de mission de l’Élysée, je suis donc parti à la rencontre de la représentation diplomatique française, à Genève et à New York, et des dirigeants du Pacte mondial. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer Georg Kell, le premier Directeur général du Pacte mondial. Nous pouvions échanger en allemand, ce qui m’a permis de construire une relation privilégiée avec lui.
Nous avons atteint l’objectif des 20 signatures avant le G8 d’Évian. Les entreprises engagées allaient au-delà des membres du CAC 40. Des adhérents venaient de Nice, Lille ou encore Lyon. Pour aller à leur rencontre, il fallait que l’Élysée puisse payer mes trajets. Or, je n’étais pas la priorité absolue du secrétariat de Jérôme Monod. Les contraintes logistiques représentaient ainsi un réel défi opérationnel au début de l’initiative.
Au niveau international, nous avons dû procéder à quelques ajustements lorsque les entreprises ont envoyé les premières Communications sur le Progrès (CoP). Les premiers salariés du Pacte mondial, qui sortaient d’Harvard, avaient tendance à se prononcer sur le fond des CoP. Il est arrivé que certains d’entre eux considèrent que certains progrès annoncés par des entreprises dans les CoP n’en étaient pas. Mon lien avec Goerg Kell fut alors précieux pour résoudre rapidement ces difficultés.
L’adoption du dixième principe sur l’anti-corruption, en 2004, ne fut pas simple à annoncer aux entreprises, car nous venions tout juste de solliciter leur engagement sur neuf principes. Nous avons organisé deux rencontres entre Georg Kell et les dirigeants français, pour expliquer l’utilité de ce dixième principe. Ce fut l’occasion de rappeler aux sociétés qu’elles n’adhéraient pas au Pacte mondial parce qu’elles étaient parfaites, mais parce qu’elles avaient des progrès à réaliser et une responsabilité sociétale à assumer.
Le fait que l’adhésion soit alors gratuite nous a aidé à mobiliser les entreprises, mais la question de l’organisation du réseau s’est tout de suite posée. J’occupais au départ une arrière-salle du Palais de l’Élysée. Ce n’était pas idéal, tant vis-vis de New York que des autres réseaux locaux, car cela ne faisait que renforcer la réputation française d’un État centralisé. Après quelques mois à l’Élysée, Jean-Pierre Boisivon, Secrétaire général de l’Institut de l’entreprise, a mis à disposition du Pacte mondial des locaux, ainsi qu’une secrétaire à mi-temps. Jérôme Monod a proposé que Bertrand Collomb, PDG de Lafarge, devienne président du Forum des amis du Pacte mondial. J’avais imposé que le poste de vice-président et trésorier soit attribué à un dirigeant de PME : Yves Bernheim fut le premier à occuper cette position.
© Christophe Petit-Tesson
“À travers la Communication sur le Progrès, le Pacte mondial incarne l’exercice de la complexité.”
– Conrad Eckenschwiller
Quel bilan tirez-vous de cette initiative ?
– +Lorsque j’ai pris ma deuxième retraite, en 2013, le réseau embauchait son deuxième salarié. Je suis fier de constater la dynamique du Pacte mondial, et notamment celle du réseau français. Il y a 20 ans, ce mouvement international débutait à peine.
En France, le soutien de Jacques Chirac fut déterminant pour mobiliser le secteur privé. Le Président a réuni les dirigeants d’entreprises membres en 2003, à plusieurs reprises, en janvier 2004, en présence du Secrétaire général de l’ONU, ou encore en 2005, pour une réunion en présence de Kofi Annan et Tony Blair. Après la conférence à l’Élysée, nous avions affrété des bus pour nous rendre au Quai d’Orsay, où Philippe Douste-Blazy, qui venait d’être nommé ministre des Affaires étrangères, recevait les entreprises adhérentes pour des sessions de travail.
Le Pacte mondial est né dans un monde où les frontières devaient s’ouvrir et les règles s’harmoniser. Ma génération a vécu l’âge d’or et la fin de la mondialisation. Les bouleversements qui s’illustrent par le conflit en Ukraine annoncent un autre monde, marqué par la « déglobalisation » et l’instauration de nouvelles barrières non-tarifaires.
Le Pacte mondial a permis de diffuser la culture des institutions onusiennes au sein du secteur privé. Si une entreprise souhaite être un leader dans le domaine du développement durable, elle doit s’engager au sein de l’initiative. Le Pacte mondial permet de prendre de l’avance et de se conformer dès aujourd’hui ce qui figurera dans le droit dans cinq ans. Les faits sont toujours en avance sur le droit.
En créant le Pacte mondial, Kofi Annan avait une visée humaniste. Il souhaitait favoriser une concurrence équitable et rendre impossible les mauvaises pratiques commerciales mais, aussi et surtout, obliger les entreprises à s’améliorer sur le respect des droits humains. L’engagement dans une démarche de progrès constituait l’argument majeur sur lequel s’appuyait Georg Kell, il y a 20 ans, pour convaincre les entreprises de rejoindre l’initiative. L’idée est restée la même : une entreprises doit définir des objectifs ambitieuxs, tout en gardant à l’esprit que la construction d’une démarche de progrès prend nécessairement du temps. À travers la Communication sur le Progrès, le Pacte mondial incarne l’exercice de la complexité.
2003-2023 : deux décennies de progrès durables
En 2023, le réseau français du Pacte mondial des Nations Unies célèbre son vingtième anniversaire. Retracer son histoire donne à voir une évolution importante : celle du rapport du secteur privé à sa responsabilité sociétale. Rétrospective des événements marquants, des origines de sa création à son déploiement, jusqu’à ce jour en France, pays où l’initiative demeure la plus active.
Pour agir de façon plus responsable sur le terrain où elles opèrent, les entreprises sont confrontées à des défis uniques. Adapté au contexte social, culturel, politique et législatif, chaque réseau local du Pacte mondial des Nations Unies incarne un partenaire sans égal d’apprentissage, de dialogue multi-parties prenantes et d’action collective. Chaque entité est indépendante, avec une gouvernance propre, mais travaille en étroite collaboration avec le siège à New York, suivant des modalités définies dans un Memorandum of Understanding (MoU).
Par son action lancée en 2003, le relais hexagonal joue un rôle essentiel dans l’appropriation des Dix principes du Pacte mondial et des 17 ODD par le monde économique français. Il porte une mission d’accompagnement des entreprises à la mise en œuvre de l’Agenda 2030. Aujourd’hui, le réseau France compte plus de 1 900 participants, dont environ 1800 entreprises et 100 organisations à but non lucratif. Alors, quelles ont été les grandes étapes de ce parcours ? Comment son développement s’est-il accéléré en France ? Quels sont les ingrédients qui ont structuré son succès ?
Global Compact, naissance en terrain inconnu
« Jusqu’à la fin des années 1990, l’indifférence et la suspicion mutuelle caractérisaient les relations entre les Nations unies et les entreprises… Cela a commencé à changer avec le lancement du Pacte mondial », se souvient Georg Kell, fondateur et ancien Directeur général du Pacte mondial des Nations unies.
Quelques années après le Sommet de Rio de 1992, Kofi Annan, alors Secrétaire général de l’ONU, estime le temps est venu de réhumaniser la mondialisation. Le terrain commun qu’il appelle de ses vœux entre l’instance onusienne et les entreprises est une inconnue, susceptible d’aboutir à de nouvelles solutions aux défis planétaires. Serait-il enfin possible de réconcilier les impératifs économiques avec la protection de l’environnement et des droits humains ?
Face aux leaders les plus influents du globe, un tournant
Forum économique mondial de Davos, le 31 janvier 1999. Devant les dirigeants les plus puissants de la planète, Kofi Annan n’hésite pas à solliciter leur « aide pour renforcer encore [leurs] relations ». C’est ainsi qu’il lance l’initiative qui fera date : « Je suggère que vous, les dirigeants de grandes sociétés réunis à Davos et nous, les Nations Unies, concluions un « pacte mondial » fondé sur des valeurs et des principes communs qui donneront un visage humain au marché mondial ». Le Secrétaire général leur demande – individuellement, dans le cadre des sociétés qu’ils dirigent, et collectivement, par l’intermédiaire des associations professionnelles – d’adopter, de promouvoir et de faire respecter une série de valeurs communes et fondamentales touchant les droits de l’homme, les conditions de travail et l’environnement.
Sous son impulsion, entreprises, agences des Nations Unies, monde du travail et société civile se rassemblent d’abord autour de neuf principes universellement reconnus. Ces principes fournissent une feuille de route pour les entreprises qui souhaitent faire progresser leur démarche de responsabilité citoyenne, quels que soient leur pays, leur secteur d’activités, leur taille, etc. « Les entreprises transnationales ont été les premières à bénéficier de la mondialisation. Elles doivent assumer leur part de responsabilité pour faire face à ses effets », enjoint Kofi Annan, au lancement officiel du Pacte mondial, le 26 juillet 2000.
En septembre, la Déclaration du Millénaire pour le développement des Nations Unies, est signée par les 193 États membres de l’ONU et une vingtaine d’organisations internationales. À travers huit grands Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), les chefs d’État s’engagent à combattre la pauvreté, la faim, la maladie, l’illettrisme, la dégradation de l’environnement et les discriminations à l’égard des femmes.
Le pouvoir de la transparence et du dialogue
Le Global Compact n’a pas pour vocation d’endosser le statut d’instrument de réglementation. Il ne revendique pas le rôle de code de conduite, mais celui de plateforme d’apprentissage institutionnelle, basée sur des valeurs universelles. Il utilise le pouvoir de la transparence et le dialogue pour identifier et disséminer les bonnes pratiques basées sur des principes universels.
Certes, les modalités du pacte sont susceptibles de faire débat. Les limites potentielles d’une démarche volontaire des entreprises peuvent être remises en cause. Certaines ONG et syndicats y voient la possibilité d’opérations de communication. Cependant, du point de vue de l’ONU, le volontariat est la condition de l’efficacité. Pour répondre aux critiques, le partage d’informations sur les progrès et leur suivi deviendront, par la suite, une clé de réussite – c’est la Communication sur le Progrès (CoP). De plus, l’ONU attend de tous les dirigeants participants qu’ils s’engagent publiquement auprès du Secrétaire général et deviennent des défenseurs publics du Global Compact. Sans fausse naïveté incantatoire : et si les discours de ces leaders avaient un effet performatif ? Ce pari vaut bien d’être entrepris !
Une relation amicale, porteuse de coopération
L’initiative de Kofi Annan trouve un écho bienveillant auprès de Jacques Chirac, Président de la République française. Les deux hommes partagent à la fois des objectifs communs en politique internationale, une amitié et une confiance réciproque. Le Président, enclin à favoriser le multilatéralisme, cherche également comment atténuer les effets pervers de la mondialisation.
Tous deux œuvrent de concert à la diffusion du Pacte mondial en France. « Lorsque le Secrétaire général, M. Kofi Annan est venu à Paris en novembre 2002 », déclare M. Chirac, « nous avons décidé de lancer une campagne d’information, dont mon ami Jérôme Monod a pris la responsabilité et je l’en remercie. Relayant l’action des fédérations professionnelles, dont je salue l’engagement, il a multiplié les contacts ».
Les entreprises françaises comptent parmi les premières à adhérer au Pacte mondial. Pourtant, en 2002, seuls huit grands groupes pionniers avaient pris des engagements sociaux, éthiques et environnementaux conformes au Pacte mondial, retrace le journal Le Monde. Selon le quotidien d’information, comme l’initiative peine à germer en France, le conseiller du Président Chirac, Jérôme Monod prend « son bâton de pèlerin ». Il s’appuie dès le départ sur Conrad Eckenschwiller, qui restera Délégué général du réseau jusqu’en 2013. Selon Les Échos, « les entreprises [ont] du mal à comprendre la nature de cet animal bizarre ».
D’une poignée d’entreprises, au 2ème réseau local du Pacte mondial
Début 2003, en parallèle de la session plénière du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), Jacques Chirac réunit les représentants du Pacte mondial de l’ONU et les dirigeants de trente-trois grandes entreprises, à l’Élysée. De nombreuses sociétés sont représentées par leur PDG. Jacques Chirac appelle alors les entreprises participantes « à s’engager résolument et volontairement dans le respect des grands principes éthiques énoncés par le Pacte mondial », indique le communiqué de l’Élysée. Et ce, « afin de démontrer que les entreprises françaises sont pionnières en ce domaine ». Fort de ce soutien, Kofi Annan leur adresse un message porteur d’un nouvel élan. Il les appelle à créer un réseau français « qui soit solide et exemplaire ». Précisant qu’il ne s’agit pas d’assumer les responsabilités incombant aux gouvernements, il les invite à « agir dans leurs sphères respectives, et même au-delà, pour aider à trouver des solutions aux problèmes de notre époque ». Selon le prix Nobel de la paix, « faire de la responsabilité sociale des entreprises une réalité mondiale est non seulement un impératif moral, mais aussi dans l’intérêt des entreprises elles-mêmes ».
Depuis le lancement de son initiative, le multilatéralisme a évolué. Pour la première fois au sommet d’Évian, les Chefs d’États et de gouvernements du G8 énoncent les principes d’une « économie de marché responsable ». Avancée spectaculaire, à la fin de l’année, la France peut se targuer d’être le deuxième soutien du Pacte mondial – derrière les États-Unis, avec près de 300 sociétés signataires.
Archives C. Eckenschwiller / Pacte mondial Réseau France
Archives C. Eckenschwiller / Pacte mondial Réseau France
La lutte contre la corruption à l’agenda
L’année suivante, Jérôme Monod poursuit sa mission par un symbole fort. Il demande au ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Francis Mer, la tenue à Bercy du colloque international sur la transparence financière et la lutte contre la corruption, à l’intention des signataires du Pacte mondial (tous pays confondus). Le colloque réunit 150 participants de 20 nations différentes, dont plus de la moitié de cadres dirigeants d’entreprises ; l’autre moitié est composée d’organisations professionnelles, non gouvernementales et internationales. C’est un moyen de « confirmer la continuité de l’engagement de la France, dans le prolongement des décisions d’Évian sur la gouvernance et la responsabilité sociale et environnementale des entreprises », plaide-t-il.
Par la suite, le succès de cette campagne de plaidoyer en France se confirme. Le 27 janvier 2004, Kofi Annan est l’invité d’honneur à Bercy, aux côtés des représentants de plus de 200 entreprises adhérentes. Pour le Président français, leur présence est le signe qu’ils considèrent « les principes du Pacte mondial comme un cadre de référence légitime ». À l’époque, les membres français sont rassemblés via l’Institut de l’entreprise, au sein du Forum des amis du Pacte mondial, dont le Comité d’orientation est présidé par Bertrand Collomb, Président du Conseil d’administration de l’entreprise Lafarge.
À cette période, certaines instances onusiennes liées au développement durable et à l’environnement peinent à mobiliser autant que souhaité. Le Pacte mondial cherche à développer sa communauté d’entreprises engagés. Lors de l’assemblée annuelle internationale à New York, l’adoption d’un dixième principe sur l’anticorruption, ajouté à la suite de la Convention des Nations Unies contre la corruption, en octobre 2003, marque un tournant.
Parallèlement, le réseau français poursuit son déploiement. Selon Conrad Eckenschwiller, « le chemin parcouru depuis deux ans est assez impressionnant, puisque la France est dorénavant le pays qui compte le plus d’entreprises adhérentes (340 au total), dont un nombre important de PME ». La diffusion sur les territoires, auprès des PME, devient un axe prioritaire. Ainsi, quatre villes sont sélectionnées pour devenir des points d’ancrage et de rayonnement des dix principes, auprès des entreprises et de leurs partenaires en région (Lille, Nantes, Lyon, Marseille).
En 2005, le Forum des amis du Pacte mondial devient officiellement une association loi 1901. En juin, Kofi Annan est à Paris, à la rencontre du Président Jacques Chirac et du Premier ministre britannique Tony Blair. Plus de 150 chefs d’entreprises internationaux, invités par le Président français sont présents. Le Secrétaire général des Nations Unies l’assure : leurs efforts sont essentiels dans la lutte contre la pauvreté et la poursuite des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). « Les entreprises sont d’une importance vitale pour les objectifs. La valeur des objectifs pour les entreprises est tout aussi indéniable », déclare l’initiateur du Pacte.
Comment se prémunir du risque de Global Compact-washing ?
Dans le courant des années 2000, les réglementations et les exigences de l’opinion publique s’intensifient en faveur de l’éthique des affaires. La lutte contre la corruption devient plus prégnante dans les actions globales de développement durable. C’est dans ce contexte que l’ONG Transparency International France et le Forum des amis du Pacte mondial publient, pour la première fois, un vade-mecum en commun : Prévenir le risque de corruption dans les PME. Il est notamment diffusé à toutes les Chambres de commerce et d’industrie (CCI) et aux participants d’un colloque organisé par le MEDEF.
Au fil du temps, le Global Compact adopte davantage de mesures d’intégrité, afin d’éviter les abus potentiels et de protéger l’initiative. Pour apporter une réponse aux critiques concernant d’éventuelles lacunes en matière de contrôle, « le Pacte mondial a mis en place un mécanisme d’examen des plaintes concernant des “utilisations abusives systématiques ou flagrantes de ses buts et principes généraux“ ». Face à l’absence de communication annuelle de l’entreprise sur ses progrès, le premier niveau de sanction est une rétrogradation du statut « active » à celui de « non-communiquant ». Niveau suivant : la radiation de la liste des adhérents, faisant perdre à l’entreprise le droit de mentionner son engagement et de participer aux activités du réseau.
Archives C. Eckenschwiller / Pacte mondial Réseau France
Le Forum des Amis du Pacte mondial en France est officialisé à l’Élysée le 27 janvier 2004, en présence de Kofi Annan. © Arnaud Roiné
La finance comme moteur de l’intégration ESG
Lancés en 2006 par les principaux investisseurs mondiaux et parrainés par les Nations Unies, les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) sont une liste de six engagements volontaires, qui incitent les investisseurs à agir en faveur d’un développement plus soutenable, « Si la finance sert de moteur à l’économie mondiale, les décisions d’investissement et les pratiques d’actionnaires ne reflètent pas suffisamment les considérations d’ordre social et environnemental », constate Kofi Annan.
Placée sous l’égide de l’Initiative financière du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP-Fi) et du Pacte mondial, les PRI visent à intégrer dans la gestion des portefeuilles d’investissement des critères ESG : Environnementaux, Sociaux, de Gouvernance. L’initiative est le fruit d’une collaboration entre experts et institutions financières internationales et nationales, dont la Caisse des Dépôts en France.
En 2007, Ban Ki-moon devient le huitième Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Il se fixe comme priorité de rassembler les dirigeants du monde autour des enjeux mondiaux, tels que le changement climatique et les bouleversements économiques, ou encore les pandémies et les problèmes croissants liés à l’alimentation, à l’énergie et à l’eau.
Communiquer sur les bonnes pratiques et les progrès, un atout pour les entreprises
2008 est marquée par le changement de présidence de l’association. Gérard Mestrallet, Président-directeur général de GDF Suez, succède à Bertrand Collomb, à la tête de l’organisation pendant ses trois premières années d’existence. L’assemblée générale est placée sous le signe du changement climatique, en présence de 160 cadres dirigeants d’entreprises.
« Communiquer sur les bonnes pratiques et les progrès de l’entreprise doit être intégré dans la stratégie de l’entreprise et ne pas être vécu comme une contrainte », estime le nouveau Président de l’association, à l’AG de 2009. « Cela peut être un atout vis-à-vis des fournisseurs et des clients. Cela permet aussi d’éviter que le fossé ne se creuse entre les dirigeants d’une entreprise et l’opinion publique ». Cet atout pour la gestion des risques juridiques et réputationnels est de plus en plus reconnu vis-à-vis des différentes parties prenantes. « La France est et reste le premier pays du monde en nombre total de membres », se félicite Gérard Mestrallet. Des avancées encourageantes pour continuer à faire grandir le mouvement.
Une étude universitaire analyse l’application des principes du Pacte mondial par les sociétés françaises : « la majorité des entreprises respectent leur engagement de faire état de l’avancement de leurs bonnes pratiques sur une base annuelle ». Toujours selon l’étude, les engagements du Pacte mondial figurent régulièrement dans les conditions générales d’achat, permettant de diffuser les principes auprès des fournisseurs des entreprises membres. « Les pratiques les plus développées de RSE se trouvent au sein des grands groupes internationaux », détaille l’étude. L’extrême diversité des pratiques est également relevée, illustrant les engagements et leur mise en œuvre par les multinationales.
Jérôme Monod, Conseiller de Jacques Chirac, a joué un rôle central dans le développement du Pacte mondial en France. © Mousse/ABACA
Le Pacte s’engage pour l’autonomisation des femmes
Nouvelle décennie, nouveaux engagements. En 2010, face aux inégalités femmes-hommes qui subsistent dans tous les pays, l’ONU Femmes et le Pacte mondial de l’ONU s’allient pour initier les Women Empowerment Principles – WEPs. Les entreprises peuvent s’engager à respecter sept principes pour agir en faveur de l’égalité, au niveau national et/ou international, selon leurs activités. « Elles deviennent membres d’une communauté de partage de bonnes pratiques et d’influence, en participant de manière volontaire à l’amélioration des conditions de travail et à l’évolution de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ».
Les WEPs sont lancés le 8 mars, lors de la Journée internationale des droits des femmes. Ils résultent d’une consultation multi-parties prenantes d’un an (entre ONG, entreprises, institutions) et de pratiques concrètes en entreprises. Actuellement, plus de 2 200 entreprises dans le monde ont déjà signé cette charte, dont une soixantaine en France.
10ème anniversaire du Global Compact
Cette première décennie du Pacte mondial prouve qu’un partenariat de grande ampleur entre l’ONU et le monde économique est possible. « L’apport du secteur privé dans l’atteinte des OMD n’est plus à démontrer », déclare Robert C. Orr, Sous-Secrétaire général à la planification des politiques de l’ONU. Néanmoins, une deuxième phase de l’histoire du Pacte mondial est inaugurée au Sommet annuel des dirigeants, pendant laquelle « le rôle du secteur privé dans la lutte contre la pauvreté devra être à la fois plus efficace et plus transparent et responsable », considère-t-il. À cette période, l’initiative réunit plus de 6 000 entreprises autour du globe. Le Forum des amis du Pacte mondial France compte, quant à lui, plus de 600 membres.
L’année suivante, l’Assemblée générale du réseau français porte sur le thème du « rôle de l’entreprise dans la réduction des inégalités », avec pour intervenant principal Martin Hirsch, alors Président de l’Agence du service civique. Des réunions trimestrielles sont lancées au sein des entreprises, pour présenter leurs bonnes pratiques et leurs progrès sur des thématiques de durabilité, comme « les défis sociaux et environnementaux de l’énergie » ou « les infrastructures et la biodiversité ».
Le 14 juin 2005, Jacques Chirac accueille Kofi Annan et Tony Blair, en présence de plus de 150 chefs d’entreprises adhérentes du Pacte mondial. © Mousse/ABACA
En route vers le Sommet RIO+20
À l’approche des 20 ans du Sommet de Rio, Brice Lalonde, ancien ministre de l’Environnement et ancien ambassadeur pour la France aux négociations climatiques, prend la fonction de Coordinateur exécutif du Programme ONU – RIO+20. Lors d’un débat organisé par le réseau français du Pacte mondial, il intervient face aux adhérents, qui sont sollicités pour partager leur témoignage de contribution au Sommet.
En 2012, le Forum des amis du Pacte mondial devient Global Compact France. « L’association compte désormais plus de 700 entreprises membres – constituant ainsi le groupe le plus important du Pacte mondial – et est en route vers les 1 000 », indique Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez et Président de l’association. Le thème « entreprises et territoires » est le plus plébiscité par les adhérents en région. Le réseau français se rapproche alors de la Conférence des Grandes Écoles (CGE), avec l’organisation conjointe d’un colloque, puis son emménagement dans les locaux de la CGE.
Le Global Compact France s’investit dans la préparation de la Conférence des Nations unies sur le développement durable 2012, dite Rio+20. « Aujourd’hui, nous avons à disposition une bibliothèque contenant les communications sur le progrès des entreprises, soit une centaine de rapports par an pour les françaises », affirme Gérard Mestrallet. « C’est une mine de bonnes pratiques. Cette démarche vise à transformer le progrès individuel en force collective pour que les entreprises françaises aillent plus loin ». En juin 2012, au cours de la Conférence RIO+20, le Global Compact France présente les propositions de quatre grandes sociétés françaises sur le dialogue avec les parties prenantes, en particulier les ONG.
Une année riche : changements de bureau, COP 21 en préparation…
2013 est ponctuée par les nouvelles arrivées à la tête du réseau français. Jean-Pascal Tricoire, Président du directoire de Schneider Electric, succède à Gérard Mestrallet à la présidence du Global Compact France. Quelques mois plus tard, Pierre Mazeau est mis à disposition par EDF et prend ses responsabilités en tant que nouveau Délégué général, en remplacement de Conrad Eckenschwiller. L’association compte désormais près de 1 000 membres. Le nombre d’entreprises françaises atteignant le niveau de reporting « advanced » – le plus élevé – sur les principes du Pacte mondial passe à vingt.
L’année suivante, le Global Compact France organise un événement inédit sur les partenariats innovants entre trois agences de l’ONU – l’UNICEF, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et plusieurs entreprises partenaires. En partenariat avec l’Agence française de développement (AFD), l’association organise de nombreux événements en région, où les PME sont de plus en plus actives en matière de RSE.
Brice Lalonde, Conseiller spécial du Global Compact, est mandaté par le Président du Global Compact France, Jean-Pascal Tricoire. Il a pour mission de mobiliser les entreprises dans l’optique de la 21e Conférence des parties (COP) à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. La COP21 doit avoir lieu à Paris, en décembre 2015. Une conférence conjointe avec l’association Entreprises pour l’Environnement (EpE), a pour but de faire entendre la voix des entreprises aux décideurs, en amont des négociations. Alors que Pierre Mazeau est rappelé par EDF, la gestion opérationnelle des activités de l’association et la coordination en vue de la COP21 est déléguée à ses deux Vice-présidents, Antoine Hacot et Jean-Pierre Cordier.
… Et lancements des Prix des meilleures CoP et du Club Global Compact Advanced
Par la création d’une récompense, le Global Compact France souhaite valoriser les meilleures Communications sur le progrès de l’année écoulée (CoP). Des critères précis sont étudiés, tels que l’intégration de la RSE dans le modèle d’affaire et l’implication des parties prenantes, la transparence des informations, sans oublier les critères généraux obligatoires pour les CoP. À cette occasion, un recueil de témoignages de 20 entreprises et d’autres organisations célébrant leur 10ème année d’engagement au Global Compact est publié.
En 2014, le Club Global Compact Advanced rassemble les entreprises membres intéressées pour échanger sur leurs bonnes pratiques. Il s’agit de les encourager à obtenir le niveau de reporting advanced sur leurs progrès. Pour l’atteindre, l’échange avec les parties prenantes doit être plus élaboré, en comparaison des niveaux apprenant (learner) et actif (active). De plus, la communication doit être vérifiée par un organisme extérieur.
Le Business & Climate Summit fut l’événement central de la Climate Week de Paris en mai 2015. © Pierre Le Tulzo
2015 : une année placée sous le signe des ODD et de l’action climatique
Sous l’impulsion de Brice Lalonde, Global Compact France et EpE organisent le Business & Climate Summit, les 20 et 21 mai, au siège de l’UNESCO à Paris, en partenariat avec le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD). Ce sommet valorise les ambitions et les solutions des entreprises pour une planète sous les 2°C de réchauffement. Rassemblant 2 000 décideurs internationaux, économiques, politiques et investisseurs, il est ouvert par le Président de la République, François Hollande. Il se conclut par un message vidéo du Secrétaire d’État américain John Kerry, et se clôture par un discours de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international. Les entreprises – dont les représentantes du Global Compact France, plaident pour un accord international ambitieux et appellent « les décideurs politiques à utiliser les fonds publics pour mobiliser plus de financements du secteur privé vers des actifs bas carbone ; à introduire une tarification du carbone solide, prédictive et soigneusement conçue ; et à mettre fin aux subventions aux énergies fossiles ».
En juillet 2015, le comité directeur du Global Compact France nomme Charlotte Frérot, au nouveau poste de secrétaire générale. Elle a pour mission de « garantir le bon fonctionnement et le développement du réseau, d’en assurer la visibilité et l’intégrité ». Après une première expérience à l’international, elle avait rejoint l’association trois ans auparavant. Pendant son mandat, elle œuvre pour la création du Club GC Advanced et le partenariat avec l’AFD en Afrique.
Après deux ans de négociations, le 25 septembre, les États membres des Nations Unies adoptent les 17 Objectifs de développement durable (ODD), rassemblés dans l’Agenda 2030. Ils complètent les OMD et prennent leur suite pour répondre aux grands enjeux mondiaux. Les grandes lignes sont : l’éradication de la pauvreté et de la faim, l’accès à la santé, à l’eau et à l’éducation, la réduction des inégalités – notamment femmes-hommes, la préservation de la biodiversité et de la planète, la recherche de justice, de paix et de partenariats, porteurs de tous ces objectifs.
La COP21 se tient du 30 novembre au 12 décembre, au Bourget. Le Global Compact France organise et prend part à de nombreux événements sur place. Le Pacte mondial, en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et la CCNUCC, a bâti la plus grande coalition d’entreprises engagées pour le climat, Caring for Climate. L’édition 2015 de son Sommet rassemble sept cents personnes sur deux jours, démontrant la forte mobilisation des entreprises en faveur du climat. À la fin de la COP, l’adoption par les 196 parties d’un accord climatique historique est saluée par de nombreuses parties prenantes – politiques, acteurs économiques, organisations internationales et non gouvernementales. « Nous devons renforcer ce mouvement collectif qui a amené la communauté internationale à se rassembler, afin de passer de l’accord à sa mise en œuvre et, ainsi, créer le monde auquel nous aspirons. Le Global Compact France est à vos côtés pour vous aider à relever ce défi », déclare l’association. Par la suite, des webinaires sont organisés avec Brice Lalonde et Lila Karbassi, Directrice de Caring for Climate, afin de décrypter l’Accord et ses conséquences pour les entreprises.
De nouveaux clubs pour aller toujours plus loin
Parallèlement, le réseau français lance le Club Global Compact Advanced, assorti d’une plateforme pédagogique de ressources en ligne sur les Communications sur le Progrès avancées. Ce site offre aux entreprises les outils nécessaires pour atteindre le plus haut niveau de reporting, en abordant les domaines clés : droits humains, lutte contre la corruption, gouvernance, soutien aux objectifs de l’ONU, etc. Par une campagne de communication décalée « Nous en sommes ! Et vous ? », les membres advanced espèrent créer un effet d’entraînement, pour engager davantage d’entreprises à intégrer la RSE dans leur stratégie. Cette initiative, ainsi que la campagne qui l’accompagne, sont applaudies par les réseaux locaux européens.
En France, les PME représentent l’essentiel du tissu économique. Le Club PME Climat est initié, afin de constituer un espace de dialogue et d’échanges des PME et ETI membres du Global Compact France sur les territoires, autour « des différents climats de l’entreprise » : économique, environnemental et sociétal. Le Tour de France PME Climat qui fait étape à Lyon, Toulouse, Nantes et Lille permet de mobiliser toujours plus de dirigeants et de partenaires locaux. Le lancement du Club Droits Humains a lieu en mai 2016, à l’occasion de l’événement « Droits de l’Homme et entreprises : Maîtriser les risques », organisé avec l’association Entreprises pour les Droits de l’Homme (EDH). Selon Jean-Pierre Cordier, Vice-Président du Global Compact France, les droits humains touchent « aussi bien les activités directes que celles des fournisseurs. Il ne faut pas être angélique, c’est un sujet concurrentiel (…). C’est également un enjeu de compétitivité, car cela touche à l’image de l’entreprise », décrypte-t-il pour AEF.
Le réseau français récompensé
Pendant deux années consécutives, en 2014 et 2015, le Global Compact France se voit remettre par ses pairs, le Prix des dix meilleurs réseaux locaux, récompensant les plus dynamiques d’entre eux. En 2016, le WBCSD, le GRI et le Global Compact lancent le SDG Compass, un portail pratique en ligne pour la réalisation des ODD. La version française est traduite par le Global Compact France et EpE. À l’occasion du premier anniversaire des Objectifs de développement durable (ODD), le Global Compact France et B&L évolution publie le guide pratique : « Entreprises, contribuez aux Objectifs de développement durable ! », avec la participation de l’Association 4D et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Lors de l’assemblée générale, Jean-Pascal Tricoire lance la première mobilisation du secteur privé français en faveur des 17 ODD. L’année suivante, en 2017, le réseau local s’illustre dans la catégorie « Mobiliser un mouvement ». Grâce à son dynamisme, sa voix est écoutée dans l’écosystème Global Compact, dans le monde entier. L’association porte ses messages aux niveaux national, européen et planétaire, intervenant de manière quasi systématique lors des évènements internationaux. « Nous recevons de nombreuses demandes des réseaux locaux autour du monde, avec qui nous entretenons des relations constructives », se réjouit-elle.
La même année, le Medef rejoint le Pacte mondial des Nations unies et son réseau français, un signal fort de l’importance croissante de la RSE pour les grandes entreprises et le patronat, en France. Geoffroy Roux de Bézieux, Vice-Président délégué du Medef et Jean-Pascal Tricoire, Président du Global Compact France, signent un accord de partenariat, lors de l’AG du Global Compact France. L’association se voit remettre, pour la troisième et quatrième années consécutives, le Trophée récompensant les meilleurs réseaux locaux du Pacte mondial. En 2017, le réseau français s’illustre dans la catégorie « Mobiliser un mouvement ».
Le renouveau du Pacte mondial
Début 2017, António Guterres devient le neuvième Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. C’est aussi l’année du déploiement de la nouvelle « stratégie 2020 » du Pacte mondial, qui s’inscrit dans une réforme globale du système onusien, qui coïncide avec l’arrivée du nouveau Secrétaire général. Quelques changements sont mis en place. L’UN Global Compact et ses réseaux locaux ne font qu’un. Les entreprises disposent de trois niveaux d’engagements : Signataire, Participant ou LEAD. Les membres ont accès à des activités et ressources internationales et locales élargies, comme l’Académie.
La fin de l’année est marquée par l’arrivée de la nouvelle Déléguée générale du Global Compact France. Fella Imalhayene est experte en Diversité et Inclusion. Praticienne de l’ODD 5 – Égalité entre les sexes et autonomisation, elle indique vouloir « faciliter plus encore [les] ODD à travers des publications, des formations et des outils de mise en œuvre et de diagnostic ». Elle projette de « travailler avec le Medef, la CPME et aller voir de nouveaux acteurs comme les Chambres de commerce, le Centre des jeunes dirigeants… Une approche sectorielle sera une prochaine étape ». Neuf mois après l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, les entreprises partagent leurs premiers retours d’expériences, lors d’une conférence organisée par le Global Compact France et Entreprises pour les droits de l’homme (EDH).
La France au Conseil d’administration du Pacte mondial des Nations Unies
Année 2018. Jean-Pascal Tricoire, Président du Global Compact France et PDG de Schneider Electric est nommé membre du board du Pacte mondial des Nations Unies, présidé par Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies. L’obtention d’un tel siège est une double reconnaissance : celle de l’influence renouvelée de la France sur la scène internationale ; et celle de l’engagement avant-gardiste des entreprises françaises dans l’atteinte des ODD. Cette nomination vient également « récompenser l’engagement global d’un homme qui a fait du développement durable un axe stratégique majeur pour son groupe », décrypte le journal Novethic.
Avec 10% des participants à travers le monde, le Global Compact France représente, à cette période, le deuxième plus important réseau national. C’est aussi celui qui compte le plus grand nombre d’entreprises ayant obtenu le niveau Advanced (Communication sur le Progrès avancée). Pour la deuxième année consécutive, la France est numéro un dans le monde avec 101 entreprises advanced ! En outre, pour renforcer son maillage territorial, l’association crée le réseau des entreprises ambassadrices en région. Ce titre leur donne l’opportunité d’organiser des étapes du Tour de France du Global Compact et des événements tout au long de l’année. Les principes du Pacte mondial et les ODD constituent une véritable feuille de route pour les entreprises, à l’heure de la remise du rapport Notat-Sénard et de la loi Pacte sur la transformation des entreprises.
Hommage au père du Pacte mondial
Le Global Compact pleure son fondateur, Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies de 1997 à 2006. Il est décédé le 18 août 2018. Dans une chronique publiée dans le journal Forbes, Georg Kell, ancien Directeur général du Global Compact salue la mémoire de Kofi Annan, prix Nobel de la paix 2001 qui avait « planté les graines d’un mouvement moderne en faveur de la durabilité des entreprises ». Avec la nomination de John Ruggie, Kofi Annan a ouvert la voie aux principes directeurs des Nations unies en matière de droits humains, qui constituent aujourd’hui la norme de référence
dans ce domaine essentiel. « En tant que pragmatique et modernisateur, Kofi Annan s’efforçait inlassablement de dépasser les vieilles idéologies. Très tôt, il a l’idée d’ouvrir les Nations unies aux citoyens, à la société civile et au secteur privé qui, jusqu’à sa nomination au poste de Secrétaire général en 1997, est largement hostile à l’organisation [ONU] », se souvient Georges Kell. Selon lui, l’héritage de Kofi Annan est désormais à l’œuvre à l’intersection critique entre les entreprises et les gouvernements.
En 2019, le Global Compact France rejoint l’initiative « 10% pour tout changer », pilotant le groupe de travail sur la mesure de l’impact de l’engagement des entreprises, sous l’égide du Haut-Commissaire à l’économie sociale et solidaire (ESS) et à l’innovation sociale. Afin de porter la voix des PME au siège du Global Compact pour la première fois, le réseau français envoie une délégation de six PME et ETI membres. Lors de ce voyage, à l’occasion du Sommet des Nations Unies, les entreprises échangent
avec le consulat français à New York, le Commissaire général au Développement Durable, le Haut-Commissaire à l’ESS, plusieurs représentants du siège du Global Compact et des chefs de grandes entreprises, comme Schneider Electric ou Suez. Après six ans de mandat, Jean-Pascal Tricoire est remplacé par André Renaudin, Directeur général d’AG2R LA MONDIALE, à la présidence du réseau.
2020, une année doublement exceptionnelle : une pandémie et un anniversaire
En 2020, le Pacte mondial des Nations Unies célèbre son vingtième anniversaire lors du Leaders Summit, les 15 et 16 juin. L’événement marque la transition vers un nouveau leadership, avec la nomination de Sanda Ojiambo qui succède à Lise Kingo, en tant que Directrice exécutive. Des milliers de dirigeants de gouvernements, de la société civile et des Nations unies sont venus échanger de la façon dont les entreprises peuvent aider les pays et les communautés du monde entier, à se relever ensemble des trois crises mondiales – sanitaire, sociale et climatique.
Avec cette pandémie inédite, la dimension stratégique de la RSE se renforce. « Il ressort de cette période et de l’enquête de terrain menée auprès des membres du Global Compact France (…), que les activités relevant de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) n’ont pas été une simple variable d’ajustement, mais bien un élément clé de résilience », analyse André Renaudin, Président du Global Compact France. Si la Covid-19 retarde la mise en application de la stratégie de l’Agenda 2030, elle décuple parallèlement la pertinence des ODD. L’étude révèle aussi le souhait, chez 20 % des répondants, de s’appuyer sur les ODD pour définir leur raison d’être. Afin de poursuivre sa mission pendant les confinements et les mesures de restrictions sanitaires, le réseau français fait preuve de capacités d’adaptation, en s’appuyant sur une forte mobilisation numérique.
Cap vers la résilience post-Covid, une nouvelle stratégie et la transformation du réseau français
Au printemps 2021, Nils Pedersen est nommé Délégué général. L’année est marquée par une profonde transformation au sein du réseau. D’une part, il s’agit du renouvellement et de l’étoffement de l’équipe. D’autre part, une nouvelle ambition s’exprime pour couvrir davantage de thématiques et réorganiser les clubs et comités en groupes de travail : RSE, Droits humains, CoP, Gouvernance, Territoires, Transition écologique et PME et grandes entreprises.
En cette année d’actualités climat (COP26, 6e rapport du GIEC), cet enjeu est très saillant chez les entreprises, et la composante biodiversité de plus en plus adressée. De plus, « la revue par les pairs, spécial plans de vigilance, est montée en puissance, car elle permet de noter un vrai dialogue avec des parties prenantes (syndicats ou ONG) et aux entreprises de se challenger », détaille le Global Compact France dans son rapport annuel. La croissance du réseau français se poursuit, avec une hausse de 30% de membres.
La stratégie 2021–2023 du Pacte mondial de des Nations Unies repose sur cinq axes stratégiques. Ceux-ci s’appuient sur les succès déjà existants, pour permettre de nouvelles avancées significatives dans le contexte mondial, environnemental et social actuel. La stratégie repose sur des actions collectives clés, relayées par les réseaux locaux : renforcer l’ambition autour de la mise en œuvre des Dix principes et de l’atteinte des ODD ; intégrer des entreprises de premier plan et des fédérations professionnelles ; catalyser et incuber les innovations de l’écosystème ; promouvoir l’action et la responsabilité́ parmi les membres ; établir des partenariats stratégiques ; fournir une plateforme de dialogue politique et de plaidoyer. Le réseau français du Pacte mondial, comme ses pairs locaux, doit permettre la bonne gouvernance et l’organisation de ces actions, à travers des plateformes numériques, des contenus, des outils, et des rapports sur les évolutions normatives.
© Christophe Petit-Tesson
Le renforcement de la dynamique territoriale et de l’Agenda 2030
Le Global Compact France devient en 2022 le Pacte mondial Réseau France. Fort d’une première expérience avec les entreprises ambassadrices (2018-2021), le Conseil d’administration nomme en mars 21 entreprises ambassadrices pour quadriller le territoire. Le réseau opère la mise en place de nouveaux cercles régionaux, portant aujourd’hui à quatorze le nombre de ces relais au plus près des territoires. Cet ensemble permet de renforcer ou créer des espaces d’échanges, décupler le maillage territorial des entreprises adhérentes et faire vivre les valeurs du Pacte mondial, partout en France.
Par son évolution, le Pacte mondial Réseau France tend vers une représentation toujours plus réaliste de l’économie française. Cela se traduit à travers la croissance continue du nombre de PME adhérentes sur la décennie, pour atteindre aujourd’hui plus de 60% du réseau. Il démontre également son inclusivité par la diversité des secteurs d’activités représentés. Les programmes thématiques portés par le Pacte mondial des Nations Unies, sur des sujets variés, permettent de faire progresser les entreprises vers un, ou plusieurs objectifs spécifiques au niveau local. Le réseau français lance les éditions nationales des accélérateurs climat, égalité entre les sexes et droits humains, et initie un programme de formation dédié aux PME.
La Directrice générale du Pacte mondial des Nations Unies, Sanda Ojiambo, se rend en personne à l’assemblée générale du réseau français, en avril, pour mieux convaincre de la puissance et de l’actualité du mouvement. « Concentrons nos efforts sur la résolution des défis mondiaux les plus pressants, à travers sept domaines prioritaires dans lesquels les entreprises ont un impact considérable sur les résultats : lutte contre la corruption, lutte contre le changement climatique, droits humains, travail décent, égalité entre les sexes, intégration des ODD et gouvernance transformationnelle », enjoint-elle aux membres. Un mois plus tard, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, nomme Sanda Ojiambo au poste de Sous-secrétaire général de l’ONU en charge du Pacte mondial des Nations Unies. Une étape de plus dans l’intégration du Pacte mondial au sein de l’organigramme onusien, après le renouvellement de la Résolution « Vers des partenariats mondiaux » par l’Assemblée générale des Nations Unies lors de sa 73e session, le 20 décembre 2018, puis lors de la 76e session, le 17 décembre 2021, rappelant l’importance du Pacte mondial pour les Nations Unies et l’Agenda 2030.
Le déjeuner-débat précédant l’Assemblée générale 2022 se tenait autour des ODD comme cadre de coopération entre le continent africain et l’Europe. © Christophe Petit-Tesson
2023 : une année riche en célébrations !
Début 2023, Gilles Vermot Desroches, Senior Vice-Président Citoyenneté et Relations Institutionnelles de Schneider Electric et déjà engagé de longue date au sein du réseau, succède à André Renaudin comme Président.
L’accélération vers l’Agenda 2030 se poursuit. L’enquête annuelle « ODD et entreprises françaises en action », réalisée en partenariat avec PwC France et Maghreb, démontre une pleine implication des entreprises dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030, ces quatre dernières années. Le réseau prépare également la deuxième édition des Trophées des ODD, qui valorisent les actions concrètes des entreprises en faveur des Objectifs de développement durable, et qui seront remis à Paris le 25 septembre 2023, jour anniversaire des ODD.
L’Assemblée générale du Pacte mondial Réseau France, le 22 juin 2023 à l’UNESCO, à Paris, est l’occasion de célébrer les 20 ans du réseau !