6 juin 2024
Quel rôle peuvent jouer les entreprises dans un monde fragmenté ?
L’Assemblée générale du Réseau France, tenue le 30 mai au musée du Quai Branly – Jacques Chirac, a été suivie par une table ronde afin d’échanger sur le rôle de l’entreprise dans un monde fragmenté.
La table ronde accueillait les témoignages de Florent Menegaux, Président du groupe Michelin et du Pacte mondial de l’ONU – Réseau France, Estelle Brachlianoff, Directrice générale de Veolia, Philippe Dessertine, Economiste, Professeur des Universités et Président du Comité 21 Celle-ci était modérée par Anne-Catherine Husson-Traore, Directrice générale de Novethic. Les intervenants ont abordé les défis auxquels sont aujourd’hui confrontées les entreprises, la question du rôle de l’entreprise en temps de crise géopolitique et de ses leviers d’action, ainsi que la transformation des chaînes de valeur.
Changer de paradigme pour s’adapter à un monde fragmenté
Anne Catherine Husson-Traore a ouvert le débat en expliquant que « la conjugaison des crises géopolitique, sociale, climatique, environnementale et sanitaire plonge à la fois l’économie et l’entreprise, mais aussi de nombreuses populations dans une espèce de peur globale mal identifiée mais avec le sentiment fort que le monde se désagrège ». Selon la Directrice générale de Novethic, les Objectifs de développement durable témoignent de « 17 priorités qui sont toutes interconnectées. Le vrai sujet aujourd’hui est donc de trouver comment les entreprises peuvent, dans ce monde fragmenté une réunification, une vision transversale, globale et qui ne se résume pas seulement à la décarbonation des entreprises ».
Lors de la table-ronde, Philippe Dessertine a longuement évoqué le sujet, en expliquant que « notre obligation dans le monde qui vient, c’est de proposer un modèle économique avec une croissance durable pour 8 milliards d’humains, notamment pour les 6 milliards d’humains qui sont en situation de pauvreté » et qui prenne aussi en compte la nécessité d’agir contre le changement climatique. Il rappelle que « si l’économie dans son modèle est un problème, il ne faut pas oublier qu’elle est avant tout au service de la communauté humaine dont l’entreprise au sens large fait partie ». Pour que cela puisse se faire, « c’est aussi le modèle sociétal qui doit être changé et pour que cela soit possible, réellement et pas de façon cosmétique, l’histoire nous a montré qu’il doit y avoir un changement de paradigme ».
L’entreprise : réinventer une communauté humaine
« Il faut se rappeler qu’une entreprise est d’abord une communauté humaine, une organisation sociale pour mettre en commun intelligence collective et création de valeurs. Le sujet n’est pas que de sauver la planète mais aussi de sauver l’humanité sur la planète. La question de la cohésion sociale au sein de l’entreprise est donc cruciale », a insisté Florent Menegaux.
Les entreprises apparaissent comme des actrices majeures du changement, qui ne doit pas que se faire par les pouvoir publics, qui ne mesurent pas toujours tous les enjeux. Cependant, pour que l’entreprise puisse s’adapter aux enjeux du monde contemporain et changer de paradigme, celle-ci doit modifier son fonctionnement ainsi que sa finalité. En ce sens, Estelle Brachlianoff note qu’il ne faut plus mesurer « la création de richesses seulement par de la création matérielle. On se trouve dans un monde qui insiste sur la création de volumes, il faut passer à un système de création de valeur ». Il s’agit de mesurer ce qui a pu être évité pendant la production, et non pas seulement la quantité produite. Par exemple, le succès peut être mesuré « à travers les tonnes d’eau et de carbone effacés ou non prélevés dans nature, et reporté ensuite sur les salaires ». Selon la Directrice générale de Veolia, pour que cette transformation puisse se faire, « nous avons besoin de plus de politiques et de solutions qui ne sont pas que techniques mais qui sont également industrialisables ».
Des actions concrètes pour le changement
Pour amorcer ce changement de paradigme, Michelin a mis en place un salaire décent (ou living wage), pour l’ensemble des travailleurs du groupe dans le monde. Une rémunération permettant à un humain de vivre décemment de son travail. « Le capitalisme a réduit la notion de progrès à la dimension matérielle, mesurable avec PIB, on a écarté plein d’autres aspects comme la dimension humaine, d’intelligence collective, technologique, environnementale, etc. », expliquait Florent Menegaux.
Le groupe Veolia a, quant à lui, créé un collectif responsable tel que celui de Veolia Cares, donnant accès à ses salariés monde entier d’accéder à un socle commun de protection sociale, peu importe la législation des pays. De plus, le modèle d’affaires de Veolia tend vers la mesure de la richesse par la création de valeur et non seulement par la création matérielle. Selon Estelle Brachlianoff, « la majorité des business model actuels est calquée sur la mesure par la création de volume et d’infrastructures mais, avec le monde que nous connaissons, il a besoin de changer en production de valeur, comme vendre des économies d’eau ». La Directrice générale de Veolia a expliqué qu’un « effet d’entraînement » d’autres entreprises est attendu et « témoigne de l’enthousiasme des financiers qui y voient un investissement pour l’avenir ».
Connecter les écosystèmes pour propager l’innovation
Pour Florent Menegaux, « l’innovation est un rapport au monde qui change et le rôle du politique est donc de donner une vision prospective. L’innovation technologie permet d’avoir à la fois un impact économique, écologique et humain ». La connexion des écosystèmes est un des enjeux du Pacte mondial des Nations Unies puisqu’elle permettrait, dans ce contexte, la diffusion d’idées et d’innovation technologique. Estelle Brachlianoff a notamment affirmé que « la collaboration entre les sociétés de toute taille permet de créer de la valeur et la collaboration entre pays permet d’importer de l’innovation et d’avoir une vision mondiale ». Plus on connectera les réseaux, plus on développera les connaissances et plus l’impact sera grand.
Cette table ronde s’est conclue sur les mots d’Anne Catherine Husson-Traore, rappelant l’importance de « généraliser le réseau des bonnes intentions basé sur le Pacte mondial des Nations Unies ». Évoluer dans un monde fragmenté, tel que nous le connaissons aujourd’hui, appelle à la prise de conscience des nombreuses limites de notre système socio-économique et démontre la nécessité de le repenser en prenant en compte de nouveaux enjeux.