25 avril 2024
CS3D, travail forcé : les droits humains au cœur de l’actualité du Parlement européen
Cette semaine, le Parlement européen a adopté deux textes significatifs en faveur des droits humains et environnementaux :
- Le règlement sur l’interdiction des produits issus du travail forcé
- La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, que nous appellerons ci-après CS3D)
Ces réglementations s’inscrivent dans le cadre du Pacte vert (Green Deal) pour un avenir durable et viable, lancé en 2019 par l’Union Européenne. Pour les entreprises, cela implique une augmentation des exigences en matière de transparence et de responsabilité envers les individus et l’environnement.
Le règlement sur l’interdiction des produits issus du travail forcé:
Pourquoi un tel règlement ?
L’OIT estime qu’environ 27,6 millions de personnes sont en situation de travail forcé dans le monde. Cette pratique, touchant divers secteurs et continents, englobe des formes telles que l’esclavage individuel, notamment issu de l’immigration, le travail des enfants ou encore l’exploitation du corps humain. En réponse à cette réalité, la Commission européenne a proposé en septembre 2022 un règlement visant à interdire les produits issus du travail forcé sur le marché européen.
Que dit le texte ?
Plusieurs éléments importants sont à retenir du texte :
- Les produits concernés par l’interdiction sont ceux fabriqués dans l’UE (tant pour la consommation intérieure que pour les exportations) ainsi que les produits importés. Le texte ne cible pas d’entreprises ou d’industries spécifiques.
- Il est prévu que la Commission « enquêtera et prendra des décisions lorsque le risque de travail forcé se situe en dehors de l’UE, tandis que les États membres enquêteront et prendront des décisions lorsque le travail forcé est constaté à l’intérieur de l’UE » ;
- Si l’enquête confirme le travail forcé, le produit sera retiré du marché de l’UE
- Les fabricants de produits retirés devront en faire don, les recycler ou les détruire. Les entreprises qui ne se conformeraient pas pourront être condamnées à des amendes.
- Les produits pourront être autorisés à revenir sur le marché si la preuve de l’élimination du travail forcé dans la chaîne d’approvisionnement a été apportée.
- Il sera demandé aux entreprises d’établir des systèmes de traçabilité afin de fournir des informations détaillées sur leurs produits et ainsi garantir la transparence des chaînes d’approvisionnement
- Un nouveau portail dédié au travail forcé sera créé pour aider les acteurs économiques et les autorités nationales à mettre en œuvre le règlement. On y trouvera des lignes directrices, un espace pour les lanceurs d’alerte ainsi que des informations vérifiables et régulièrement mises à jour sur des zones, secteurs, etc
- Un soutien spécifique sera accordé aux PME.
Quand le texte entrera-t-il en vigueur ?
Le texte entrera en vigueur trois ans après sa publication officielle pour permettre aux États membres de se conformer aux nouvelles règles.
La publication au Journal officiel de l’UE devrait arriver prochainement, une fois que le texte aura été formellement approuvé par le Conseil de l’UE.
La directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D)
Pourquoi une telle directive ?
Le jour du vote, le 24 avril 2024, de la directive n’est pas anodin, puisqu’il s’est produit 11 ans, jour pour jour, après l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh (2013). Ce drame, qui a coûté la vie à plus de mille travailleurs, avait suscité un débat intense sur la responsabilité des entreprises envers leurs chaînes d’approvisionnement et avait mis en lumière la nécessité d’une réglementation plus stricte. C’est pourquoi, le Parlement européen a adopté la directive sur le devoir de vigilance, un cadre réglementaire visant à encadrer la responsabilité des entreprises en matière de respect des droits humains et de l’environnement. La CS3D, considéré comme une obligation de « faire » vient en complément de la CSRD, considérée comme une obligation de « communiquer ».
Que dit le texte ?
- Le texte demande aux entreprises de prévenir, cesser ou atténuer leur impact négatif sur les droits humains et l’environnement à chaque étape de leur chaîne de valeur. Il s’agit d’une approche fondée sur les risques.
- Les obligations de vigilance concerneront les activités propres de l’entreprise, celles de leurs filiales et celles de leur chaîne d’activité.
- La chaîne de valeur comprend la partie amont (production, approvisionnement, extraction, stockage, etc.) et aval (distribution, transport, stockage, etc.) sans la partie élimination du produit.
- La nouvelle législation s’appliquera à terme aux entreprises, européennes ou non, de plus de 1000 salariés et avec un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros
- Concrètement, les entreprises devront : intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques et systèmes de gestion des risques ; identifier et évaluer les impacts négatifs actuels ou potentiels ; apporter des mesures de réparation le cas échéant, comme l’indemnisation intégrale des victimes ; engager des consultations avec les parties prenantes ; mettre en place un mécanisme d’alerte ; suivre l’efficacité de leur politique de vigilance ; adopter un plan de transition pour rendre leur modèle économique compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris, limitant le réchauffement climatique à 1,5 °C; communiquer publiquement, notamment via la CSRD.
- Les Etats devront, quant à eux, fournir des informations détaillées sur les obligations des entreprises via des portails en ligne
- Des autorités de surveillance seront désignées pour enquêter et imposer des sanctions aux entreprises non conformes. Les amendes pourront aller jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires net mondial.
Quand le texte entrera-t-il en vigueur ?
Le texte entrera en vigueur 20 jours au plus tard après la publication au Journal officiel. Pour ce faire, les ambassadeurs en COREPER devront valider définitivement le texte le 15 mai puis le 23 mai par le Conseil Compétitivité. Les Etats auront 2 ans pour transposer le texte dans la législation nationale. La directive sera alors progressivement appliquée en fonction de la taille des entreprises, avec des seuils spécifiques de chiffre d’affaires et d’effectifs.
Ainsi, le règlement sur l’interdiction des produits issus du travail forcé et la CS3D incitent les entreprises à intégrer les préoccupations sociales et environnementales dans leurs opérations globales. Le Pacte mondial sera aux côtés des entreprises membres pour les accompagner dans l’application de ces nouvelles réglementations.