6 avril 2023
Le rôle des initiatives volontaires à l’ère de la fragmentation politique
Le succès de la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité COP15 qui s’est tenue à Montréal, durant laquelle les États membres de l’ONU se sont engagés à protéger un tiers de la biodiversité terrestre et marine d’ici 2030, démontre que le multilatéralisme est essentiel pour préserver notre avenir. Cependant, cette évolution encourageante est éclipsée par la fragmentation politique et la rivalité entre grandes puissances.
Les dépenses militaires augmentent dans de nombreux pays, alimentées par la peur et la division, tandis que la volonté de coopérer sur les menaces qui pèsent sur l’humanité, comme le changement climatique et la pauvreté, passe au second plan. Un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU est en train de mener une guerre brutale, violant ainsi la Charte des Nations Unies. Ce système fondé sur des règles, qui a soutenu la paix et permis le développement économique, est en train de se dégrader. Le nationalisme économique et le protectionnisme sont en hausse et compromettent les efforts de lutte contre le changement climatique et de coopération en faveur du développement.
Ceci met en lumière le rôle des initiatives volontaires telles que le Pacte mondial des Nations Unies. La question se pose de savoir si ces initiatives, qui ont été fondées sur le fondement de la coopération internationale et des principes universels des Nations Unies, sont toujours pertinentes dans le monde d’aujourd’hui et quel rôle elles devraient jouer.
Le Pacte mondial a été lancé à la fin des années 1990 par le Secrétaire général de l’ONU de l’époque, Kofi Annan, dans le but de donner à la mondialisation un visage humain en intégrant Dix principes universels dans les domaines des droits humains, des droits du travail, de l’environnement et de la lutte contre la corruption dans les pratiques commerciales partout dans le monde.
Depuis 2000, le Pacte mondial est devenu la plus grande initiative de développement durable à destination des entreprises au monde, avec plus de 18 000 entreprises participantes et 3 800 organisations signataires. Il a donné naissance à d’autres initiatives mondiales, telles que les Principes pour l’investissement responsable en 2006, dont la mission a été l’intégration des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans l’analyse et la prise de décision en matière d’investissement, ainsi que des initiatives volontaires régionales et nationales.
Certains observateurs critiquant les initiatives volontaires menées par les entreprises, ou qui se concentrent obsessionnellement sur le greenwashing, tout en ignorant les défaillances de l’État, ne prennent pas en considération les multiples impacts sociaux et environnementaux positifs liés aux initiatives volontaires, qui ont amélioré la vie de millions de personnes sur leur lieu de travail et dans les communautés du monde entier.
N’étant pas juridiquement contraignantes, les initiatives volontaires ne peuvent pas apporter de changements systémiques à court terme, mais elles jouent un rôle important dans la sensibilisation du public et dans la préparation du terrain pour des changements de politique sur des sujets tels que le travail des enfants, la décarbonisation, l’autonomisation des femmes et la lutte contre la corruption.
Le rapport annuel du Pacte mondial des Nations Unies indique que l’élan derrière l’initiative n’a pas faibli. Les entreprises participantes continuent d’aligner leurs stratégies et pratiques sur les Dix principes, et réaffirment leur engagement dans de nombreux thèmes qui font progresser les intérêts publics aux niveaux national et mondial.
Cela pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs. Premièrement, l’urgence d’agir sur des questions telles que le changement climatique, la pénurie d’eau, la pauvreté, l’autonomisation des femmes et la lutte contre la corruption pour préserver la croissance des entreprises continue de croître, indépendamment – et malheureusement souvent à cause – de la rivalité entre grandes puissances. Deuxièmement, de nombreux participants se trouvent dans des pays qui ne veulent pas se laisser entraîner dans une rivalité de pouvoir. Leur programme demeure axé sur le développement économique et sur les questions environnementales et sociales qui comptent pour leur succès. Et troisièmement, les participants dont les sièges sont basés dans les pays de l’OCDE et en Chine sont soumis à une pression politique accrue pour démontrer une bonne performance environnementale et sociale et une bonne collaboration tout au long de la chaîne de valeur afin de maintenir leur licence d’exploitation.
Le Pacte mondial des Nations Unies et d’autres initiatives volontaires mondiales menées par des entreprises ont désormais la possibilité d’évoluer et de jouer un rôle majeur.
Redécouvrir les principes du Pacte mondial des Nations Unies
Les Dix principes du Pacte mondial des Nations Unies découlent de cadres et d’accords internationaux, tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme, les normes fondamentales du travail de l’Organisation internationale du Travail, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et la Convention des Nations Unies contre la corruption. Ces cadres sont inscrits dans de nombreuses lois nationales, et les gouvernements du monde entier proclament fréquemment leur importance.
La légitimité des Dix principes offre aux entreprises la possibilité de contribuer à la pertinence du droit international et des normes internationales, afin que les leçons de l’histoire ne soient pas oubliées. La simplicité des principes permet une action pragmatique tout en évitant la moralité hypocrite. En adoptant ces Dix principes universels, les entreprises aident à contrer les récits de peur, de racisme et de chauvinisme ethnique, qu’ils soient fondés sur l’ignorance de l’histoire ou l’intention de semer la division.
Redoubler d’efforts en matière de collaboration pour relever les défis du bien public mondial
La nécessité d’une collaboration internationale s’accroît pour relever les défis mondiaux que les États ne peuvent résoudre seuls. Mais la volonté politique de le faire risque de s’essouffler car les anciens concepts de pouvoir sont à nouveau en tête de l’ordre du jour.
Dans ce scénario, les initiatives volontaires peuvent jouer un rôle encore plus important pour relever les défis mondiaux tels que le changement climatique et la biodiversité. En collaborant au-delà des cultures et des clivages politiques, en s’engageant dans des plateformes thématiques et en diffusant des solutions technologiques et en répandant des connaissances et des compétences, les participants au Pacte mondial des Nations Unies peuvent combler une partie du vide laissé par l’inaction des gouvernements. Ainsi, les entreprises peuvent contribuer à établir un climat de compréhension mutuelle.
La collaboration interentreprises pour lutter contre le changement climatique et d’autres priorités mondiales en matière de bien public pourrait ne pas suffire à inverser la tendance. Mais cela peut progressivement créer une prise de conscience autour du fait que l’humanité a un nouvel ennemi commun et qu’à un moment donné, les décideurs se rendront compte que le véritable ennemi n’est pas « eux » mais « nous » et que la collaboration au-delà des divisions politiques et culturelles est le seul moyen de sauvegarder l’avenir.
Mettre davantage l’accent sur les pays en développement
Le Pacte mondial des Nations Unies a également le potentiel d’apporter une plus grande contribution dans les pays en développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, où vit la grande majorité des jeunes du monde. Développer des pratiques commerciales durables et responsables dans ces régions en soutenant les réseaux nationaux et leurs activités peut faire une grande différence dans la lutte contre la pauvreté et le changement climatique. Les progrès technologiques dans des domaines tels que la production d’énergie propre décentralisée et les technologies agricoles vertes intelligentes offrent de nouvelles opportunités.
Il y a plus de deux décennies, Kofi Annan a mis au défi le secteur privé de soutenir les objectifs de l’ONU – paix, droits de l’homme et développement durable – en intégrant les Dix principes du Pacte mondial des Nations Unies dans leurs stratégies et leurs opérations par le biais d’un apprentissage partagé, d’un dialogue et de partenariats. Aujourd’hui, son appel à l’action est plus important que jamais. Dans un monde de plus en plus fragmenté, les valeurs fondamentales de l’ONU offrent un récit d’espoir, de compréhension mutuelle et de respect indispensable pour contrer les forces de la peur et de la division.
Cet article a été co-écrit avec Sanda Ojiambo, Directrice exécutive du Pacte mondial des Nations Unies.
Georg Kell est Président du conseil d’administration d’Arabesque, une société de gestion avec une approche d’investissement responsable. Il a dirigé le Pacte mondial des Nations Unies de 2000 à 2015.