Chapitre 4

Les 4 piliers du Pacte Mondial

Conduite responsable des entreprises

© Valérie Jacob

Maylis Souque

Maylis Souque est Conseillère économique à la représentation permanente de la France auprès de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE).

“Depuis dix ans, nous constatons que les standards internationaux de devoir de diligence (droit souple) se sont durcis, et sont incorporés en totalité ou en partie dans le devoir de vigilance (droit dur).”

Quels ont été les progrès majeurs du secteur privé dans le domaine des droits humains sur les deux dernières décennies ? Et quels sont les freins à ces progrès ?

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Nous avons changé de paradigme. Une bonne partie des entreprises, notamment les multinationales françaises et leurs chaînes d’approvisionnement, ont compris qu’elles avaient un rôle à jouer dans la surveillance du respect des droits humains. Nous sommes encore sur le chemin de cette prise de conscience, qui ne se fait pas toute seule et nécessite un travail sans relâche. Les organisations internationales mènent cet effort depuis 20 ans, en aidant les entreprises dans leur travail de vigilance. Cette prise de conscience ne dépend pas forcément de la taille de l’entreprise et peut être plus ou moins avancée selon le secteur. Dans le secteur du textile, la compréhension des enjeux des droits humains est devenue très avancée à la suite du drame du Rana Plaza en 2013.

Néanmoins, il demeure compliqué d’évaluer le progrès du respect des droits humains, il n’existe pas d’indicateur global de mesure. Certes, les rapports annuels de l’Organisation internationale du Travail (OIT) permettent d’appréhender le respect des droits du travail et des libertés syndicales, mais les incidences aux droits humains concernent souvent les parties prenantes, et non pas directement l’entreprise. Certaines entreprises françaises déploient des outils de vigilance sur leurs propres chaînes d’approvisionnement, mais le phénomène n’est pas généralisé. Les entreprises ont du mal à considérer les peuples autochtones ou les riverains des terrains agricoles comme leurs parties prenantes.

Comment le Pacte mondial favorise-t-il la mise en pratique par les entreprises des principes directeurs de l’OCDE, et du devoir de vigilance ?

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Un Point de contact national de l’OCDE traite essentiellement des plaintes. Il est compliqué d’être à la fois une voie de recours tout en s’engageant, sous la même bannière, avec le secteur privé. L’avantage du Pacte mondial Réseau France est qu’il comprend beaucoup d’entreprises de taille et de secteur différents, ce qui permet un effet de levier sur certains enjeux, en étant à la fois un lieu d’échanges de bonnes pratiques mais aussi de difficultés. Le Pacte mondial et l’OCDE s’appuient sur les mêmes standards, à savoir les ODD, ce qui permet d’éviter toute forme de concurrence et ainsi de dupliquer les efforts plus efficacement. Les revues par les pairs sur les plans de vigilance constituent une autre très grande force du réseau. Ces sessions permettent notamment aux entreprises qui sont en difficulté sur certains objectifs d’être facilement redirigées vers les principes directeurs de l’OCDE. Le réseau représente ainsi un canal important de diffusions d’informations sur la responsabilité sociale des entreprises.

Khaleda Begum, survivante du Rana Plaza, travaille désormais comme tailleur. © OIT – Muntasir Mamun

Quelles sont les convergences entre les différents instruments de soft law et de hard law sur le devoir de vigilance ?

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Depuis dix ans, nous constatons que les standards internationaux de devoir de diligence (droit souple) se sont durcis, et sont incorporés en totalité ou en partie dans le devoir de vigilance (droit dur). Ce mouvement se structure sur des normes générales d’obligation de vigilance, dont les lois française et allemande en sont les parfaits exemples, avec une intégration totale et transversale de ces normes. De l’autre côté, les législations européennes et américaines optent pour des obligations sectorielles sur certains minerais, sur certaines commodités agricoles ou certains risques. 

Les outils de droit souple ont vocation aider le législateur à transposer tout ou partie de la méthodologie de la vigilance en droit dur, et sont à disposition des parties prenantes pour mettre en œuvre les obligations réglementaires. Il est donc nécessaire de garantir une cohérence afin que la méthodologie de la vigilance soit la même partout, qu’elle puisse couvrir les droits de l’homme au sens large, et qu’il n’y ait pas d’opposition sur la compréhension des normes.

“À l’époque du Rana Plaza, tous les acteurs se sont mis autour d’une table pour faire bouger les ligne. Nous devons pouvoir le faire à nouveau afin de trouver des solutions aux enjeux systémiques.”

– Maylis Souque

Comment mener une action sur toute sa chaîne de valeur dans un contexte de repli du multilatéralisme ?

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En février 2023, la France a co-présidé avec les Etats-Unis une réunion ministérielle à l’OCDE avec dix organisations internationales, 51 États membres, 60 États présents dont la Chine. La dernière réunion datait de 2013. Pour moi, cela ne traduit pas un contexte de repli du multilatéralisme. De cette réunion ministérielle a débouché une déclaration commune, une nouvelle recommandation sur le rôle des gouvernements dans la promotion de la responsabilité sociale des entreprises dans toutes les politiques publiques, de l’aide au développement et des crédits exports. Actuellement, l’Union Européenne prépare une directive sur le devoir de vigilance à portée extraterritoriale. Les PCN de l’OCDE peuvent recevoir des plaintes du monde entier et les standards sont en train d’être renforcés. Les tensions entre la Chine et les États-Unis ou les difficultés de l’ONU ont un impact sur la mondialisation et peuvent affaiblir la résilience des chaînes d’approvisionnement mais, dans le domaine de la RSE, je ne constate pas de repli du multilatéralisme.

Quels sont les principaux défis mondiaux identifiés aujourd’hui dans le domaine des droits humains ?

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Je note un défi majeur avec le salaire décent, c’est-à-dire un salaire permettant la réalisation des besoins primaires et qui est de fait lié aux pratiques d’achat. C’est un enjeu en Europe, en Afrique et tout au long des chaînes d’approvisionnement. Le deuxième défi est de réussir à articuler les impacts environnementaux et la question des droits de l’homme. Cet enjeu est très compliqué à faire reconnaître et à mettre en application pour les entreprises. La troisième difficulté à gérer pour les entreprises sera la perturbation des chaînes de valeur dans le contexte post-Covid et relatif à la guerre en Ukraine. Les entreprises vont devoir s’interroger sur la résilience et la diversification de leurs chaînes d’approvisionnement, tout en prenant en compte les problèmes de droits humains et de respect de l’environnement. 

Je vois enfin un dernier défi, celui de l’action collective. Au lendemain du drame du Rana Plaza, une coalition s’était formée entre les syndicats locaux et internationaux, les multinationales et leurs filiales, les pouvoirs publics comme l’Union Européenne et les organisations internationales comme l’OIT. Ce partenariat a permis un accord sur la santé et la sécurité de l’industrie textile au Bangladesh. Aujourd’hui, de la bouche même des syndicats internationaux, ce pays est l’endroit où l’industrie textile est la plus sûre, même si la question des salaires pose toujours problème.  

Cette coalition est toujours d’actualité. À cette époque, tous les acteurs se sont mis autour d’une table pour faire bouger les ligne. Nous devons pouvoir le faire à nouveau afin de trouver des solutions aux enjeux systémiques.


© Crozet _ ILO

Cyril Cosme

Cyril Cosme est Directeur du Bureau de l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour la France depuis 2014. Il a commencé sa carrière au ministère du Travail français, œuvrant notamment au sein de la Représentation permanente de la France auprès de l’UE à Bruxelles. Il a également occupé la fonction de Conseiller pour les affaires sociales auprès de l’Ambassade de France à Washington.

“Le Pacte mondial est la porte d’entrée des Nations Unies pour les entreprises. Pour l’OIT, il constitue un point d’appui indispensable pour favoriser l’engagement de ces entreprises à se saisir et se conformer aux principes et droits fondamentaux au travail.”

Comment le Pacte mondial favorise-t-il la mise en pratique par les entreprises de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail ?

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Le Pacte mondial est né quelques années après l’adoption de la Déclaration de l’OIT sur les principes et droits fondamentaux (1998). Ce n’est pas un hasard. Les deux événements s’inscrivent en effet dans le même contexte de la montée en puissance rapide d’une mondialisation de l’économie aux formes inédites. En effet, à la différence des phases précédentes, cette mondialisation a d’abord été celle des entreprises et de leurs chaînes de production. Leurs décisions d’investir, de s’implanter, de sélectionner tel fournisseur façonnent l’économie mondiale, avec un impact de plus en plus considérable sur l’évolution des conditions de vie et de travail des populations. 

Cet impact a de fait élargi le champ de leur responsabilité et de leurs engagements. Les entreprises opérant à l’international ont besoin de s’appuyer sur des normes pour mesurer leur impact et construire leurs engagements sur des bases solides. La Déclaration sur les droits et les principes fondamentaux de l’OIT en est une, en plaçant au sommet de la hiérarchie des normes internationales du travail la lutte contre le travail des enfants, le travail forcé, l’interdiction des discriminations, la liberté syndicale et le droit de négociation collective et depuis l’année dernière la santé et la sécurité des travailleurs. De même que la Déclaration de l’OIT sur les entreprises multinationales qui pose les règles auxquelles devraient être subordonné le modèle d’affaires de ces entreprises dans le domaine social.

Le Pacte mondial est la porte d’entrée des Nations Unies pour les entreprises. Pour l’OIT, il constitue un point d’appui indispensable pour favoriser l’engagement de ces entreprises à se saisir et se conformer aux principes et droits fondamentaux au travail. Les ateliers d’échange, de sensibilisation et les revues par les pairs qu’il organise permettent de faire progresser très concrètement les pratiques des entreprises et le respect des droits des travailleurs.

Quels ont été les progrès majeurs du secteur privé dans le domaine du travail sur les deux dernières décennies ?

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À mon sens, un progrès majeur remonte à l’adoption en 2015 de la stratégie de développement durable que représente l’Agenda 2030, dont le Pacte mondial est l’instrument de promotion pour le secteur privé. Les 17 objectifs de cette stratégie associent l’ensemble des dimensions de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises dans une même matrice stratégique, y compris le travail décent de l’OIT. Ces objectifs sont devenus une sorte de « grammaire » pour le secteur privé à l’international, qui sert d’étalon pour évaluer la conformité des pratiques du monde des affaires. On est d’ailleurs passé de la notion de « RSE » à la notion de « conduite responsable des affaires », ce qui est le signe d’une intégration de la question de l’environnement, du climat et du travail décent dans le modèle d’affaires de l’entreprise lui-même. Le Pacte mondial a contribué à ces importantes évolutions.

Quels sont les principaux défis mondiaux identifiés par l’OIT aujourd’hui ?

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Les inégalités dans le monde du travail et la transition écologique sont sans doute les principaux défis. Il faut y répondre par une approche intégrée, ce qui signifie qu’on ne pourra pas relever le second sans apporter de réponse aux premières. L’OIT promeut une transition juste de façon à « rendre l’économie plus verte d’une manière qui soit aussi équitable et inclusive que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne de côté ».

Cela implique notamment un dialogue social qui anticipe les mutations et ses conséquences, des politiques de formation et de reconversion adaptées, une extension de la protection sociale de sorte que le revenu des personnes les plus impactées par les aléas climatiques ou l’évolution des emplois soit sauvegardé.

Le Directeur général de l’OIT, Gilbert F. Houngbo, a proposé le lancement d’une coalition mondiale pour la justice sociale dont l’ambition est de mobiliser tous les acteurs, qu’il s’agisse des institutions internationales, des gouvernements, des partenaires sociaux, ou des acteurs non gouvernementaux, afin de parvenir à relever ce défi de la transition juste. Les entreprises doivent jouer un rôle essentiel.

Quelles sont les actions prioritaires que l’entreprise peut déployer sur toute sa chaîne de valeur pour œuvrer en faveur du travail décent et de la transition juste ?

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C’est précisément l’objet du devoir de vigilance (ou de la diligence raisonnable) qui s’applique aux entreprises vis-à-vis de leurs filiales ou de leurs fournisseurs et sous-traitants. L’élaboration d’un plan de vigilance est devenue une obligation légale en France et le sera bientôt dans l’Union européenne. Elle implique une analyse nouvelle des risques que l’extension géographique et l’éparpillement des chaînes d’approvisionnement d’une entreprise peuvent faire peser sur l’environnement et les droits humains. 

La question de la méthode est essentielle, d’abord en interne pour embarquer toutes les composantes de l’entreprise. Le plan de vigilance doit être celui de l’entreprise dans son ensemble, pas seulement celui du département RSE ou développement durable. L’entreprise devrait ensuite s’appuyer sur les partenaires sociaux et les parties prenantes externes. Beaucoup d’entreprises françaises ont ainsi ouvert de nouveaux chapitres dans leurs accords-cadres internationaux en matière de diligence raisonnable. Les ONG peuvent aussi jouer le rôle de lanceur d’alerte lorsqu’un risque grave d’atteinte à des droits fondamentaux ou à l’environnement menace dans un secteur (les minerais de conflits par exemple) ou dans une région du monde.

Discours du Directeur général de l’OIT, Gilbert F. Houngbo,lors de la 347e session du Conseil d’administration de l’OIT. © Crozet _ ILO

Protection du climat et de la biodiversité

© Margot Lhermitte

Véronique Andrieux

Véronique Andrieux est Directrice générale du WWF France depuis 2019. Elle a auparavant travaillé de nombreuses années au sein d’OXFAM et a occupé la fonction de Senior Advisor du Club de Madrid, groupe de 90 anciens chefs d’Etat et de gouvernement œuvrant pour renforcer la démocratie et protéger les droits humains dans le monde.

“J’entends encore trop souvent dire que l’on doit d’abord régler le problème climatique avant de s’attaquer à l’effondrement de la biodiversité. Nous n’avons malheureusement plus le temps.”

Comment les entreprises ont-elles intégré les sujets environnementaux à leurs stratégies sur les 20 dernières années ?

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Sur la partie climat, la réflexion et la prise de conscience ont nettement progressé. Nous devons désormais nous focaliser la mise en conformité avec les réglementations européenne et française.

Nous insistons également sur les plans de transition, auxquels il est nécessaire d’allouer des moyens financiers et humains. Ces sujets doivent être suivis par l’exécutif et nécessairement portés par le plus haut dirigeant. Les membres des comités exécutifs et des conseils d’administration doivent être spécifiquement formés et mandatés pour gérer ces enjeux. Malheureusement, nous sommes loin d’atteindre les résultats requis. Il demeure trop de niches, de dérogations, d’exceptions, qui permettent à des secteurs hautement polluants de continuer à émettre.

Concernant la biodiversité, ma perception est que ce sujet est beaucoup plus présent dans le débat depuis trois ou quatre ans. Lors de la COP 15 biodiversité tenue à Montréal en décembre 2022, il était frappant de constater le nombre d’entreprises – dont les françaises – présentes, et ce parmi tous les secteurs d’activité. Cela démontre une prise de conscience plus importante, les entreprises constatant l’impact du dépassement des limites planétaire, en matière de disponibilité de l’eau douce ou de niveau de pesticides et d’engrais azotés, sur leurs chaînes d’approvisionnement. J’entends encore trop souvent dire que l’on doit d’abord régler le problème climatique avant de s’attaquer à l’effondrement de la biodiversité. Nous n’avons malheureusement plus le temps. Il faut absolument régler ces deux sujets en parallèle. Aujourd’hui, pour la partie biodiversité, nous sommes hélas à des années-lumière de la mise en place des nécessaires changements structurels au sein des entreprises. Ces transformations sont pourtant indispensables pour l’économie, le climat et pour nous, humains. Ce constat n’est malheureusement pas encore suffisamment compris, même s’il y a des avancées.

La cible 15 de l’Accord de Kunming-Motréal, adopté lors de la COP 15, encourage les entreprises à faire en sorte qu’elles puissent, d’une part, mesurer l’impact de leurs activités sur la nature et d’autre part, mesurer et identifier leurs dépendances à la nature. Cette approche plus globale de la relation entre nature et biodiversité me semble une bonne avancée sur le papier. Reste à voir comment nous parviendrons à la traduire dans les faits.

Comment le WWF France agit-il pour la transition juste ?

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Tous les enjeux sont corrélés. Nous savons aujourd’hui que l’effondrement de la biodiversité, qui est une crise silencieuse, a un impact sur 80% des ODD. Le nexus climat, biodiversité, ODD et droits humains est au cœur de l’ADN du WWF.

Nous avons tous notre contribution à apporter, mais la responsabilité dit venir en premier lieu des acteurs les plus polluants. Le principe du pollueur-payeur est d’ailleurs acté par le droit à l’environnement. Il doit nous permettre d’accélérer sur la voie de la transition, que ce soit par l’accès à une rénovation intégrale de notre logement, à un véhicule électrique ou à une alimentation moins carnée, plus durable et bio. Tous ces sujets ont un coût. Même s’il existe des aides publiques, il faut en simplifier l’accès, avec des guichets uniques. Il faut s’assurer que la mobilisation financière soit suffisante pour accompagner les ménages les plus modestes. Nous avons par exemple proposé l’éco-conditionnalité des aides publiques au moment de la relance, mais aussi au moment du plan France 2030 ou du plan France Nation verte. L’autre enjeu majeur est de dégager des ressources en supprimant les niches fiscales ou les subventions portant atteinte au climat et à la nature, et réorienter les financements vers des activités alignées avec la taxonomie verte européenne, hors gaz fossile et nucléaire.

Vous avez noué des partenariats avec un petit nombre d’entreprises. Comment les choisissez-vous et que leur apportez-vous concrètement ?

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Le WWF est effectivement très vigilant au moment de valider un partenariat. Nous sommes convaincus que les entreprises, qui sont une composante majeure du problème, doivent faire partie de la solution. Pour cela, nous agissons à différents niveaux. Nous défendons tout d’abord un renforcement de la réglementation liée aux enjeux climatiques et de biodiversité, aux niveaux français et européen. Par ailleurs, nous mettons en place des partenariats dits « transformationnels ». Nous analysons, avec des grands groupes, sur des secteurs donnés, leur matrice de matérialité. Nous identifions les enjeux prégnants en matière de climat et de biodiversité, sur lesquels la vulnérabilité de l’entreprise, son manque de préparation et de capacité à y répondre, sont les plus évidents, et sur lesquels nous pouvons ajouter de la valeur. Ces sujets sont ensuite intégrés dans une feuille de route, avec des livrables remis à des dates définies. Sur la base de l’expertise du WWF, nous menons ainsi des coopérations techniques permettant aux entreprises de mettre en place des plans de transition ambitieux et alignés avec leurs engagements pris au sein de l’initiative Science Based Targets (SBTi). La méthodologie de SBTN, le pendant biodiversité de SBTi, est d’ailleurs parue en mai. Nous œuvrons pour favoriser l’engagement des grands groupes français, comme ce fut le cas avec SBTi. Nous menons quelques initiatives ponctuelles avec des ETI et des PME, mais l’essentiel du travail est réalisé auprès de grands groupes, qui sont les moteurs et créent un effet d’entraînement au sein de leurs filières ou de leurs secteurs respectifs.

Science Based Targets (SBTI)

L’initiative Science Based Targets (SBTi) est un projet lancé en parallèle de la COP21 en 2015 par le Carbone Disclosure Project (CDP), le Pacte mondial des Nations Unies, le World Resources Institute (WRI) et le WWF. L’initiative vise à encourager les entreprises, membres ou non du Pacte mondial, à définir des objectifs de réduction d’émissions de GES en cohérence avec les préconisations scientifiques.

La préservation des zones humides est cruciale pour la biodiversité française. © Esther Baron

Quel rôle joue le WWF au sein de l’initiative Science Based Targets (SBTi) ?

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L’initiative SBTi est un game changer. Lorsque j’échange avec les patrons de grandes entreprises, je m’aperçois que tous n’ont pas une fine compréhension des enjeux, de l’urgence et de l’échelle de l’effort à fournir. Pour y arriver, il est nécessaire définir des métrique et des instruments adaptés aux objectifs : c’est le cas avec SBTi et le standard Net Zero, présenté juste avant la COP 26 de Glasgow. L’initiative est devenue le référentiel sur lequel s’appuient les grands groupes, dont les français. Le principal enjeu est alors de pouvoir s’assurer que les groupes, qui ont des trajectoires de baisse des émissions validées par SBTi, puissent mettre en œuvre ces objectifs et soient redevables, dans une logique de transparence, de leur plan de transition. L’autre défi majeur consiste à élargir la dynamique à des grands groupes internationaux à l’empreinte carbone très élevée, notamment dans les pays du G7 et du G20.

“Sur la base de l’expertise du WWF, nous menons des coopérations techniques permettant aux entreprises de mettre en place des plans de transition ambitieux et alignés avec leurs engagements pris au sein de l’initiative Science Based Targets (SBTi).”

– Véronique Andrieux

Gouvernance et anticorruption

© Transparency International France

Laurence Fabre

Laurence Fabre est Responsable du programme secteur privé chez Transparency International France, membre du Conseil d’administration du Pacte mondial des Nations Unies. Elle a auparavant exercé la profession d’avocat spécialisé en contentieux et droit pénal des affaires pendant plus de vingt ans.

“À l’heure actuelle, le défi majeur est d’obtenir des actions concrètes, précises et mesurables qui permettent de vérifier, non pas la conformité d’une entreprise, mais sa volonté réelle de lutter contre la corruption.”

“Au-delà du plaidoyer, notre mission est aussi d’accompagner les acteurs, et notamment les entreprises, dans leur démarche de lutte contre la corruption. C’est l’une de nos spécificités et cela explique que nous collaborons notamment avec le Pacte mondial Réseau France, afin de mettre en place les meilleurs standards de la lutte contre la corruption au sein des entreprises.”

– Laurence Fabre

L’adoption du dixième principe du Pacte mondial date de 2004, dans la foulée de la Convention de l’ONU dont nous célébrons également les 20 ans cette année. En quoi ce dixième principe a-t-il permis aux entreprises françaises de progresser dans le domaine de la lutte contre la corruption ?

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Depuis une vingtaine d’années, les progrès en matière de lutte contre la corruption sont indéniables, notamment du fait de l’apparition de grands textes internationaux sur le sujet. À titre d’exemple, la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales représentent une avancée majeure en termes de lutte contre la corruption, qui n’était auparavant pas promue au sein des entreprises comme un principe de bonne gouvernance.

Beaucoup d’entreprises ont pris des engagements forts, au regard des grandes déclarations internationales mais aussi de la loi Sapin II, qui impose aux entreprises françaises de plus de 500 salariés et de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires la définition d’un plan de prévention de la corruption. Ce plan de prévention, et il s’agit d’une grande spécificité française, est contrôlé par l’Agence française anti-corruption (AFA). Transparency International France œuvre pour que ces engagements majeurs se traduisent par des actes. À l’heure actuelle, le défi majeur est d’obtenir des actions concrètes, précises et mesurables qui permettent de vérifier, non pas la conformité d’une entreprise, mais sa volonté réelle de lutter contre la corruption.

La règlementation européenne offre des leviers intéressants, à l’image de la directive CSRD sur l’information extra-financière, qui entrera en vigueur en 2024. Le scope des entreprises concernées sera progressivement étendu, devenant bien plus large que celui de la loi Sapin II. Cette directive va obliger les entreprises à fournir des données transparentes, sur des indicateurs normés au niveau européen. Les parties prenantes pourront ainsi comparer, mesurer et examiner ces données, ce qui constituer un levier très important pour lutter contre la corruption.

Comment utilisez-vous le Pacte mondial Réseau France pour inciter les entreprises à adopter les meilleurs standards de transparence ?

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Organisation de la société civile, Transparency International France a une mission de plaidoyer. Notre vocation première est d’impulser des législations favorisant les positions que nous défendons. Par exemple, au moment de la transposition de la directive européenne de 2019 relative à la protection des lanceurs d’alerte dans la loi du 21 mars 2022, nous avons joué un rôle de partie prenante, pour s’assurer que les standards de la loi Sapin II étaient bien maintenus et qu’ils protègent mieux les lanceurs d’alerte.  

Au-delà du plaidoyer, notre mission est aussi d’accompagner les acteurs, et notamment les entreprises, dans leur démarche de lutte contre la corruption. C’est l’une de nos spécificités et cela explique que nous collaborons notamment avec le Pacte mondial Réseau France, afin de mettre en place les meilleurs standards de la lutte contre la corruption au sein des entreprises. Ces dernières ont intérêt à s’engager dans la lutte contre la corruption, notamment parce que les risques, juridiques ou de réputation, se sont considérablement accrus ces dernières années. Nous travaillons avec le Pacte mondial sur des travaux communs, des guides et des interventions régulières auprès des entreprises, afin de les sensibiliser sur ces sujets. Il est essentiel qui nous puissions mettre en œuvre des recommandations sur la base de bonnes pratiques, qui sont un facteur de sécurisation pour les organisations. 

Nous intervenons auprès des grandes entreprises mais aussi des plus petites, qui vont peu à peu voir les exigences règlementaires se renforcer. Les PME disposent de peu de moyens pour mettre en place des programmes de lutte contre la corruption, et n’ont pas nécessairement de fonction dédiée à la conformité au sein de l’entreprise. Il est nécessaire de calibrer les informations que les PME devront fournir, les engagements qu’elles devront prendre et les actions qu’elles devront mener, à la mesure de leurs risques et de leurs moyens. De nombreuses PME sont fournisseurs de grands groupes anglo-saxons ou soumises à la loi Sapin II, et ont de fait déjà mis en place certaines mesures. Pour les autres, elles ont tout intérêt à anticiper l’ensemble des législations qui se déverseront progressivement dans le droit français.

Au-delà de cet accompagnement, il est primordial d’expliquer pourquoi il est nécessaire de lutter contre la corruption. Transparency International publie un grand nombre d’indicateurs démontrant la prégnance de la corruption dans le monde. La France n’est pas épargnée, même si la corruption n’est pas endémique au sein de son service public. Il est également essentiel de présenter l’impact de la corruption. Les grandes violations des droits humains, les conflits qui se rappellent cruellement à nous aux frontières de l’Europe ou encore les grands crimes environnementaux, ont pour dénominateur commun la corruption. Au fond, nous demandons ainsi aux entreprises de prendre une part active à la résolution des grands enjeux sociétaux.

© Transparency International France

“Les grandes violations des droits humains, les conflits qui se rappellent cruellement à nous aux frontières de l’Europe ou encore les grands crimes environnementaux, ont pour dénominateur commun la corruption. Au fond, nous demandons ainsi aux entreprises de prendre une part active à la résolution des grands enjeux sociétaux.”

– Laurence Fabre

Quels sont les axes de progrès majeurs des entreprises françaises en matière de lutte contre la corruption ?

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Les entreprises disposent d’une grande marge de progrès sur plusieurs enjeux essentiels. Le premier, qui dépasse d’ailleurs le cadre des entreprises, est un enjeu d’éducation. Les futurs dirigeants et les citoyens doivent saisir ce qu’est la corruption, quels en sont ses préjudices et comprendre pourquoi il est fondamental de lutter contre. Beaucoup considèrent encore que la corruption ne relève pas de la France et ont du mal à identifier un possible préjudice de la corruption qu’ils subiraient au quotidien. 

Pour les entreprises, la question du blanchiment est primordiale. La corruption et le blanchiment sont deux faces d’une même médaille. Nos pays riches, fortement dotés en matière d’immobilier, sont très attractifs en la matière. Il faut ainsi faire passer un message : le crime ne paie pas. On voit aujourd’hui que le monde de l’entreprise est très incertain avec les difficultés liées aux sanctions ou au contexte international, ce qui nécessite sans doute de décloisonner le travail qui est fait, même en interne des entreprises, entre le blanchiment et la corruption. 

Il est également crucial de mieux considérer et définir ce qu’est une victime de la corruption. Une organisation comme la nôtre, habilitée à agir en justice, doit ainsi s’attacher à donner plus de place aux victimes de la corruption, pas seulement sur le plan juridique, mais aussi dans la pédagogie que l’on entreprend ou les actions que l’on mène. 

Enfin, les organisations doivent améliorer et étendre l’accès aux données et aux informations. Transparency International vient notamment de publier un outil, intitulé Integrity Watch, qui utilise les données de la Haute autorité de la transparence dans la vie publique afin de mieux appréhender les interactions entre le secteur public et le secteur privé. La digitalisation constitue un risque supplémentaire en matière de corruption et de blanchiment, à l’instar des cryptomonnaies, mais représente également un formidable outil d’accès à l’information. Un meilleur accès aux données permet d’identifier, dans son évaluation des tiers, les bénéficiaires effectifs qui se cachent derrière un intermédiaire. Ces sujets-là sont des leviers forts d’amélioration et de sécurisation pour les organisations qui les maitriseront.