Chapitre 2

L’entreprise et les défis mondiaux

Les 20 dates clés du développement durable

Souvent appréhendé au prisme de l’écologie, le développement durable s’appuie sur trois piliers interdépendants : le social, l’environnement et l’économie. Il représente une façon d’organiser la société, la production, la consommation, de manière à répondre aux besoins des générations actuelles sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.

1951

Rapport sur l’État de la protection de la nature dans le monde

C’est au début des années 1950 que le tout premier rapport sur l’État de la protection de la nature dans le monde est publié par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) créée quelques années auparavant. Ce rapport marque le début de la recherche autour de la réconciliation entre économie et écologie.

1972

Conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm

L’objectif de cette Conférence est d’examiner les liens entre développement et environnement afin de penser un modèle de développement économique qui puisse réconcilier économie et ressources. On parle alors du principe d’éco-développement.

1972

Les limites à la croissance, ou rapport Meadows

Remis par des chercheurs du MIT au Club de Rome, fondé quatre ans plus tôt, le rapport Meadows est un texte fondateur qui, par une étude de la dynamique des systèmes, souligne l’incompatibilité entre croissance matérielle infinie et ressources finies.

1976

Adoption des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales

Ils énoncent des principes et des normes volontaires de comportement responsable des entreprises dans le respect des lois applicables. Ces Principes forment l’un des piliers de la Déclaration de l’OCDE sur l’investissement international et les entreprises multinationales, adoptée par les pays membres de l’OCDE en 1976. Ils ont été révisés en 2001 puis en 2011.

1987

Publication du rapport Brundtland

À la fin des années 1980, la Commission des Nations Unies pour l’environnement et le développement adopte et publie le Rapport Brundtland. Officiellement intitulée Notre avenir à tous, cette publication, à l’origine du terme « développement durable », plaide pour un développement économique prenant en compte les limites planétaires et les droits humains.

1992

Sommet de la Terre de Rio

Pour la première fois, 179 pays se réunissent à Rio pour évoquer l’avenir de la planète. Un programme d’actions est signé et introduit des recommandations afin d’ancrer le développement durable autant au niveau local qu’international : c’est l’Agenda 21 (ou Action 21).

1994

Conférence internationale sur la population et le développement au Caire

La Conférence du Caire, qui rassemblait les délégués de 179 gouvernements, consacre le reconnaissance des droits des femmes comme principe essentiel au développement. Ses principaux objectifs étaient de permettre un renforcement de l’autonomie des femmes et de garantir un accès universel à la planification familiale d’ici à 2015.

1995

Sommet mondial sur le développement social à Copenhague

Ce sommet réunit 186 États soucieux de reconnaître officiellement l’importance universelle du développement social et de l’amélioration de la condition humaine. La déclaration adoptée à l’issue de cet événement établit que les sociétés ont pour rôle de « mieux répondre aux besoins matériels et spirituels des individus, de leurs familles et des communautés dans lesquelles ils vivent ».

1997

Protocole de Kyoto

La Conférence de Kyoto élabore un protocole adopté par 180 États adhérant à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Le protocole de Kyoto, signé en décembre 1997 et entré en vigueur en 2005, vise à réduire les émissions de six gaz à effet de serre grâce à des engagements juridiquement contraignants pour les pays industrialisés, considérés comme les plus pollueurs.

1998

Conférence internationale sur la population et le développement au Caire

La Conférence du Caire, qui rassemblait les délégués de 179 gouvernements, consacre le reconnaissance des droits des femmes comme principe essentiel au développement. Ses principaux objectifs étaient de permettre un renforcement de l’autonomie des femmes et de garantir un accès universel à la planification familiale d’ici à 2015.

2000

Lancement du Pacte mondial

Porté par l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, le Pacte Mondial des Nations Unies constitue un appel à la contribution de l’ensemble des entreprises au respect des droits humains, du droit du travail, de l’environnement et, avec l’adoption du dixième principe en 2004, à la lutte contre la corruption

2000

Adoption des Objectifs du millénaire

198 États ont adopté la Déclaration du Millénaire des Nations Unies. Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) représentaient un ensemble d’engagements et d’objectifs, à horizon 2015, construits autour de la lutte contre la pauvreté, la faim, l’illettrisme ou encore la dégradation de l’environnement.

2001

Loi NRE

La loi française relative aux nouvelles régulations économiques, dite loi NRE, oblige les sociétés cotées à publier des données financières et extra-financières, notamment sociales et environnementales, dans un souci de transparence.

2011

Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme

Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme reconnaissent l’obligation fondamentale de protéger les droits de l’homme pour les États, la responsabilité des entreprises de protéger les droits de l’homme et l’accès à des voies de recours pour les victimes de non-respect de ces droits. Ces 31 principes ont été élaborés par John Ruggie, le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU.

2012

Sommet de la Terre Rio+20

À l’occasion des 20 ans du premier Sommet de la Terre, une seconde Conférence des Nations Unies sur le développement durable se tient à Rio. Celle-ci donnera naissance à une convention visant à élaborer les Objectifs de développement durable.

2015

Adoption des ODD

Adopté en septembre 2015 par 193 pays aux Nations Unies, l’Agenda 2030 constitue un plan d’action pour la paix, l’humanité, la planète et la prospérité, nécessitant la mise en œuvre de partenariats multi-acteurs. Il comprend 17 Objectifs de développement durable (ODD) qui ambitionnent de transformer nos sociétés en éradiquant la pauvreté et en assurant une transition juste vers un développement durable d’ici à 2030. Universels, inclusifs et interconnectés, ces objectifs appellent à l’action de tous et instaurent un langage commun universel.

2015

Accord de Paris

En vue de lutter contre les changements climatiques et leurs effets néfastes, les dirigeants mondiaux réunis à la COP21 adoptent l’Accord de Paris, un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques. Son objectif est de maintenir « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels » et de poursuivre les efforts « pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels. »

2017

Loi sur le devoir de vigilance

La France se dote d’un cadre législatif précurseur avec la loi sur le devoir de vigilance, qui impose aux grandes entreprises de publier un plan de vigilance pour prévenir les risques en matière d’environnement, de droits humains et de corruption, pour leurs activités mais aussi celles de leurs fournisseurs.

2022

Accord de Kunming-Montréal

Cet accord, négocié lors de la COP15 biodiversité à Montréal, pose un nouveau cadre mondial afin d’enrayer le déclin de la biodiversité. D’ici 2030, les États signataires devront avoir mis sous protection 30 % des espaces terrestres et 30 % des mers. 30 % des espaces dégradés devront également être restaurés ou réhabilités. C’est l’objectif 30 x 30.

2024

Entrée en vigueur de la CSRD

Votée en 2022, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) fixe des normes et obligations que les entreprises de plus de 250 salariés devront présenter chaque année dans un reporting extra-financier. Cette directive, qui constitue un bouleversement majeur, vise à rendre les entreprises plus responsables en les obligeant à présenter leur impact environnement et social.

La contribution de la France aux ODD

© Manuel Bouquet – TERRA

Thomas Lesueur

Thomas Lesueur est depuis 2019 Commissaire général au développement durable au ministère de la Transition écologique et solidaire. Il est conseiller maître à la Cour des comptes.

“Depuis l’adoption de la Feuille de route de la France pour l’Agenda 2030 en septembre 2019, le Pacte mondial Réseau France en est un relai actif auprès de son réseau et de ses adhérents.”

Le CGDD est chargé de la mise en œuvre de la Feuille de route française pour l’Agenda 2030. Comment a-t-il collaboré avec le Pacte mondial Réseau France dès sa rédaction en 2019 et depuis ?

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Le Pacte mondial Réseau France est un partenaire de longue date du Commissariat général au développement durable (CGDD) pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030 : participation au comité de pilotage sur la communication autour des Objectifs de développement durable ; aux ateliers pour élaborer la Feuille de route de la France pour l’Agenda 2030 : interventions aux évènements célébrant l’anniversaire de l’adoption de l’Agenda 2030 ; et plus récemment contributions à l’élaboration de la Revue nationale volontaire 2023. 

Depuis l’adoption de la Feuille de route de la France pour l’Agenda 2030 en septembre 2019, le Pacte mondial Réseau France en est un relai actif auprès de son réseau et de ses adhérents au travers de plusieurs initiatives.

Parmi les initiatives remarquables, je veux citer le baromètre des ODD, enquête annuelle évaluant le degré d’appropriation des ODD par les entreprises françaises, ou encore le parcours ODD personnalisé pour aider les entreprises à structurer et amplifier leur démarche de responsabilité sociétale autour de la boussole universelle des ODD, initié dès 2019. 

La création en 2022 d’un trophée des ODD permet également la transmission de pratiques vertueuses tout en mettant en lumière des actions individuelles et collectives. 

Toutes ces actions, preuves du dynamisme et de la créativité des acteurs de la société civile sont autant d’initiatives qui permettent aux entreprises de s’investir pour la mise en œuvre de la Feuille de route française pour l’Agenda 2030.

“Cette Revue nationale volontaire s’inscrit dans une perspective d’accélération de la transformation de notre pays, par une meilleure contribution au développement durable des pouvoirs publics, des acteurs économiques et de toute la société civile en métropole comme en Outre-mer.”

– Thomas Lesueur

Pour la deuxième fois depuis 2015, la France présente en 2023 une Revue nationale volontaire (RNV) au Forum politique de haut niveau pour le développement durable (HLPF). Quels en sont les objectifs et enjeux ?

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À mi-parcours de l’Agenda 2030, la France a souhaité établir une deuxième Revue nationale volontaire partagée, non exhaustive mais documentée, identifiant les avancées et les points de vigilance. 

L’ambition a été d’associer les partenaires et acteurs engagés dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et de la Feuille de route de la France à sa réalisation. Nous avons engagé dès octobre dernier, en parallèle des consultations ministérielles, une phase collaborative pour que chacun puisse compléter et enrichir le document de travail des actions conduites. 

Le Pacte mondial Réseau France a été présent tout au long de ce processus.

Cette Revue nationale volontaire s’inscrit dans une perspective d’accélération de la transformation de notre pays, par une meilleure contribution au développement durable des pouvoirs publics, des acteurs économiques et de toute la société civile en métropole comme en Outre-mer. 

Fruit d’un travail collectif, qui met en valeur les actions et les réalisations portées par l’ensemble des acteurs et parties prenantes, elle révèle les questions prioritaires pour la société française, sous le prisme des ODD.

La Conférence contributive, organisée par l’Institut Open Diplomacy en mai 2023, a permis de recueillir des contributions alimentant la Revue nationale volontaire présentée par la France à l’ONU en juillet 2023. © Adrien Thibault

“L’état des lieux des progrès et des obstacles identifiés, retranscrits dans la Revue nationale volontaire permet de témoigner de l’investissement de la France dans la mise en œuvre des ODD et dans leur suivi.”

– Thomas Lesueur

Les 19 et 20 septembre se tiendra le SDG Summit, marquant la mi-parcours de l’Agenda 2030. À sept ans de l’échéance, comment atteindre les ODD et rattraper le retard accumulé sur de nombreuses cibles ?

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Nous sommes à mi-parcours et il nous reste un peu plus de 7 ans pour atteindre les objectifs fixés en 2015. Il faut donc poursuivre et intensifier collectivement nos efforts. 

L’état des lieux des progrès et des obstacles identifiés, retranscrits dans la Revue nationale volontaire permet de témoigner de l’investissement de la France dans la mise en œuvre des ODD et dans leur suivi. Si les avancées sont nombreuses, le chantier reste ambitieux et nécessite d’approfondir les actions concrètes déjà mises en place, au niveau national mais également en ce qui concerne l’action extérieure de la France. 

Préparer l’avenir, c’est en effet esquisser ensemble la France de 2030 ; une France innovante, solidaire et écologique, qui ne laisse personne de côté, malgré les enjeux que posent la justice sociale et la transition écologique. 

Pour y parvenir, il convient de définir des trajectoires partagées qui pourront guider l’action de l’ensemble des acteurs économiques. En ce sens, la planification écologique portée par la Première ministre doit permettre de faire le lien entre tous les instruments pour renforcer l’action de l’Etat et de tous les acteurs dans une logique d’efficacité et de rapidité de la transformation écologique et durable de notre modèle.

Dans l’esprit des travaux de notre collectif depuis 2015, c’est aussi en s’appuyant sur la mobilisation et les efforts de toutes et tous que la France atteindra les Objectifs de développement durable en 2030.

La vision française de la RSE

© MEAE

François Gave

François Gave a 25 ans d’expérience dans le corps diplomatique français. Il a occupé différents postes à la direction de l’économie, au département européen et à l’état-major de planification à Paris. Il a été nommé Représentant spécial pour la responsabilité sociale des entreprises et la dimension sociale de la mondialisation en septembre 2021.

“Quelle que soit leur imperfection, les ODD sont aujourd’hui notre boussole universelle, un garde-fou unique contre les tentations de la régression sociale, une des grandes raisons d’espérer en un monde plus juste et plus prospère, dans une humanité déchirée par la violence et la guerre.”

© UN Photo – Guilherme Costa

“Seuls les États peuvent créer un cadre harmonisé, stable, incitatif ; seules les entreprises, publiques et privées, peuvent y répondre avec une masse critique suffisante d’investissement et traduire en actions concrètes et mesurables ces grands objectifs.”

– François Gave

Vous avez contribué au sommet Rio+20 et avez coordonné l’équipe française chargée de parvenir à un accord sur les ODD. Quel rôle a joué le secteur privé, aux côtés des États, dans la construction des Objectifs de développement durable ?

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J’ai eu le privilège, en effet, de prendre part à cette longue et captivante négociation de Rio+20, puis de l’Agenda 2030. Nous avions tous, je crois, le sentiment de contribuer à une œuvre exceptionnelle et cela nous soutenait dans les moments de doute. Les entreprises, la société civile, l’université et la recherche nous accompagnaient ; nous dialoguions souvent avec eux ; nous travaillions en bonne intelligence ; leur confiance nous animait et nous réconfortait.

Ces négociations traduisaient un formidable élan : nous voulions dépasser les clivages traditionnels et paralysants entre le « Nord » et le « Sud » ;  mettre au premier plan les « oubliés de l’histoire », les communautés marginalisées, vulnérables, souvent impuissantes à se faire entendre ; transformer la manière de penser le développement et de travailler à la lutte contre la pauvreté, en travaillant de façon plus transversale, en s’appuyant le plus possible sur la science et l’expérimentation ; décloisonner les approches ; mettre au premier plan de la politique internationale la lutte contre la pauvreté, les droits de l’Homme, la bonne gouvernance, la protection des biens publics mondiaux, questions essentielles et, hélas, souvent délaissées pour des questions pressantes, mais de court terme.

La société civile a été l’une des clés de cette négociation, par sa force de conviction, son engagement, son expérience. Les entreprises auront aussi joué un rôle considérable, par leur dynamisme, leur capacité d’innovation, mais aussi leur pragmatisme et leur souplesse. Leur participation massive au Pacte Mondial, tout particulièrement dans notre pays, témoigne de la force de leur engagement, qui ne s’est pas démenti depuis. Et je crois que le résultat final, les 17 Objectifs de développement durable, traduit assez bien cette aspiration collective inédite. Quelle que soit leur imperfection, les ODD sont aujourd’hui notre boussole universelle, un garde-fou unique contre les tentations de la régression sociale, une des grandes raisons d’espérer en un monde plus juste et plus prospère, dans une humanité déchirée par la violence et la guerre.

Quelle vision de la RSE la France défend-elle à l’ONU ?

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Nos citoyens, nos consommateurs sont conscients des bienfaits de la mondialisation économique ; ils savent que notre prospérité en dépend, que l’autarcie est le pire ennemi des peuples, des droits de l’Homme, et des moins favorisés ; ils sont fiers du rôle joué par nos entreprises à l’étranger. Mais ils veulent aussi corriger certains de ses effets pervers. Ils veulent être sûrs que les biens qu’ils achètent n’ont pas été fabriqués à l’autre bout du monde par des enfants ou des travailleurs forcés ; qu’ils ne servent pas, à leur insu, au financement d’un régime despotique ou à la destruction de l’environnement. Ils s’inquiètent des possibles effets délétères d’un commerce non réglementé : nos lois, nos exigences en matière de droits de l’Homme, d’environnement, ne sont-elles pas affaiblies par des délocalisations dans des pays où ces exigences sont moindres ? En un mot, ils veulent une mondialisation maîtrisée, équitable, et redoutent une mondialisation anarchique, aux dépens du plus faible, source de régression sociale et démocratique. C’est à ces interrogations, à ces inquiétudes que la doctrine française en matière de conduite responsable des entreprises tente de répondre, aussi bien sur le plan national qu’européen, aussi bien aux Nations unies qu’à l’OCDE. Nous demandons à nos grandes entreprises multinationales d’être « vigilantes », de recenser, cartographier, de hiérarchiser leurs risques humains, sociaux, environnementaux tout au long de leur chaîne internationale d’approvisionnement, de mettre en place un mécanisme d’alerte, de prévoir, si nécessaire, des remèdes. Nous leur demandons d’effectuer un travail d’analyse et de prévention sincère, de bonne foi ; il ne s’agit pas seulement de suivre une procédure formelle ; il s’agit de recueillir des données sérieuses, d’apprécier les réalités du terrain et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. C’est, au reste, leur intérêt stratégique, en termes de réputation, mais aussi parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir, et que des risques mal évalués et mal maîtrisés les exposent à de graves déconvenues.
Mais nous veillons aussi à ne pas leur demander l’impossible. Il n’est pas question de décharger les États de leur responsabilité première en matière de droits humains, sociaux, environnementaux, ni de faire des entreprises les bouc-émissaires de l’impéritie ou de l’autoritarisme de certains États. Il ne s’agit pas de grever leur compétitivité indûment en les surchargeant de contraintes bureaucratiques inutiles. Il s’agit seulement de prévenir des dégâts graves, voire irréversibles d’une mondialisation mal maîtrisée.

Au-delà, nous pensons qu’il faut des règles du jeu internationales claires, en jouant sur la complémentarité entre normes non contraignantes et normes contraignantes. Les premières ouvrent la voie ; leur souplesse permet un haut niveau d’ambition, une large adhésion, l’innovation, l’expérimentation ; les principes directeurs de l’OCDE sont remarquables à cet égard. Les secondes donnent la cohérence, la sécurité juridique dont nos entreprises ont besoin ; elles créent une concurrence équitable que les normes non contraignantes ne peuvent établir.

C’est pourquoi la France a été à l’avant-garde, d’abord avec sa loi nationale sur le devoir de vigilance en 2017, puis en soutenant la proposition de directive de la Commission européenne sur ce même devoir de vigilance qui, espérons-le, sera bientôt adopté, et, aujourd’hui, en encourageant l’Union européenne et les États membres à s’engager dans la négociation sur un instrument international contraignant sur les entreprises et les droits de l’Homme, aux Nations unies.

“La France a été à l’avant-garde, d’abord avec sa loi nationale sur le devoir de vigilance en 2017, puis en soutenant la proposition de directive de la Commission européenne sur ce même devoir de vigilance qui, espérons-le, sera bientôt adopté, et, aujourd’hui, en encourageant l’Union européenne et les États membres à s’engager dans la négociation sur un instrument international contraignant sur les entreprises et les droits de l’Homme, aux Nations unies.”

– François Gave

Comment les acteurs publics et privés peuvent-ils collaborer pour répondre aux objectifs de l’Agenda 2030 ? Comment mieux mettre en œuvre l’ODD 17, consacré aux partenariats ?

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L’Agenda 2030 est, là-encore, très innovant. D’une part, le développement n’est plus l’apanage des États ; il devient une responsabilité partagée, de fait, entre entreprises privées ou publiques, et États. D’autre part, les investissements privés et publics sont guidés par des objectifs communs, et non par des normes ou des règlements. Comment faciliter cette concordance tout en conservant un haut niveau d’ambition ?

Convergence ne signifie pas confusion. Chacun doit jouer son rôle. Les États doivent travailler à créer un cadre national et international propice et incitatif, en faveur des biens publics mondiaux, de la protection des droits fondamentaux de l’Homme, de la lutte contre la pauvreté, de la préservation de notre planète, qui sont l’essence de l’Agenda 2030 ; en particulier, ils doivent coopérer pour tenter de remédier aux « externalités négatives » liées aux imperfections du marché. Les entreprises, de leur côté, doivent répondre au mieux à ces incitations, avec leur capacité d’investissement, leur flexibilité, leur souplesse d’adaptation, leur capacité d’innovation.

Seuls les États peuvent créer un cadre harmonisé, stable, incitatif ; seules les entreprises, publiques et privées, peuvent y répondre avec une masse critique suffisante d’investissement et traduire en actions concrètes et mesurables ces grands objectifs. Mais ce partage des tâches doit s’accompagner d’une coopération renforcée. Ainsi, la collaboration étroite entre acteurs publics et privés, dans le cadre de l’ODD 17, est l’autre versant de notre doctrine. Elle a, bien-sûr, toujours existé. Nous l’avons seulement systématisé et mieux organisé, dans le cadre de notre stratégie nationale de développement durable, afin de la rendre plus efficace, plus large et plus transparente. Elle commence très en amont, dans la phase d’expérimentation et de définition de notre stratégie ; elle se poursuit au moment de la mise en œuvre, dans le cadre d’un dialogue constructif avec nos entreprises ; puis au niveau des enseignements à tirer et du retour d’expérience, afin de corriger nos erreurs et d’améliorer le ciblage et l’efficacité de notre action. C’est une œuvre de longue haleine, ardue, qui exige un dialogue sincère, confiant, et des remises en cause constantes ; mais c’est une œuvre fructueuse.

La pari d’humaniser la mondialisation

© Melissa Boucher, Laure Vasconi

Kathia Martin-Chenut

Kathia Martin-Chenut est directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), affectée à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne. Elle est également rapporteure sur la thématique entreprises et droits de l’homme pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

“Le Pacte mondial a été l’une des premières expressions universelles s’adressant directement aux entreprises dans l’objectif de donner un visage humain à une mondialisation dont les contradictions devenaient de plus en plus flagrantes et mettaient en lumière les faiblesses des droits humains face à la puissance des marchés.”

Début 2003, en parallèle de la session plénière duGroupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat(GIEC), Jacques Chirac réunit les représentants du Pacte mondial de l’ONU et les dirigeants de 33 grandes entreprises à l’Élysée. De nombreuses sociétés sont représentées par leur PDG.Jacques Chirac appelle alors les entreprises participantes «à s’engager résolument et volontairement dans le respect des grands principes éthiques énoncés par le Pacte mondial », indique le communiqué de l’Élysée. Et ce, « afin de démontrer que les entreprises

françaises sont pionnières en ce domaine ». Fort de ce soutien, Kofi Annan leur adresse un message porteur d’un nouvel élan. Il les appelle à créer un réseau français « qui soit solide et exemplaire ». Précisant qu’il ne s’agit pas d’assumer les responsabilités incombant aux gouvernements, il les invite à «agir dans leurs sphères respectives, et même au-delà, pour aider à trouver des solutions aux problèmes de notre époque ». Selon le prix Nobel de la paix, « faire de la responsabilité sociale des entreprises une réalité mondiale est non seulement un impératif moral, mais aussi dans l’intérêt des entreprises elles-mêmes ».

“Sur le plan normatif, la combinaison entre soft et hard law ces dernières années tend à transformer progressivement la chaine de valeur en chaîne de responsabilité”

– Kathia Martin-Chenut

Début 2003, en parallèle de la session plénière duGroupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat(GIEC), Jacques Chirac réunit les représentants du Pacte mondial de l’ONU et les dirigeants de 33 grandes entreprises à l’Élysée. De nombreuses sociétés sont représentées par leur PDG.Jacques Chirac appelle alors les entreprises participantes «à s’engager résolument et volontairement dans le respect des grands principes éthiques énoncés par le Pacte mondial », indique le communiqué de l’Élysée. Et ce, « afin de démontrer que les entreprises

françaises sont pionnières en ce domaine ». Fort de ce soutien, Kofi Annan leur adresse un message porteur d’un nouvel élan. Il les appelle à créer un réseau français « qui soit solide et exemplaire ». Précisant qu’ilne s’agit pas d’assumer les responsabilités incombant aux gouvernements, il les invite à «agir dans leurs sphères respectives, et même au-delà, pour aider à trouver des solutions aux problèmes de notre époque ». Selon le prix Nobel de la paix, « faire de la responsabilité sociale des entreprises une réalité mondiale est non seulement un impératif moral, mais aussi dans l’intérêt des entreprises elles-mêmes ».

“Le Pacte mondial peut servir de catalyseur pour une action collective engageant différentes parties prenantes et notamment le secteur privé.”

– Kathia Martin-Chenut