Chapitre 3

La démarche de progrès du secteur privé

L’engagement d’une grande entreprise pionnière en matière de développement durable

© Schneider Electric

Jean-Pascal Tricoire

Jean-Pascal Tricoire préside le Conseil d’administration de Schneider Electric, après avoir occupé les postes de Président du directoire de 2006 à 2011 et PDG de 2013 à 2023. Il a présidé le réseau français du Pacte mondial des Nations Unies de 2013 à 2019 et siège depuis 2018 au Conseil d’administration du Pacte mondial des Nations Unies.

“Par sa capacité à faire dialoguer les acteurs
du secteur privé et du secteur public, et son rôle de point d’entrée des entreprises françaises à l’ONU, le Pacte mondial Réseau France aura inévitablement un rôle prépondérant à jouer dans les années à venir, afin de faire de la France un moteur dans l’atteinte des Objectifs de développement durable.”

Le Pacte mondial des Nations Unies est le plus grand mouvement d’entreprises engagées en faveur de la responsabilité sociétale. Cette initiative unique est un vecteur de progrès pour les entreprises dans les champs des droits humains, des normes internationales du travail, de l’égalité entre les sexes, de la protection de l’environnement et de la lutte contre la corruption. C’est d’ailleurs à la suite d’une réunion en France sur la transparence et la lutte contre la corruption, le 28 janvier 2004, que l’ajout de ce dernier principe a été proposé.  

J’ai apprécié présider le Pacte mondial Réseau France de 2013 à 2019. Depuis 2018, je représente les entreprises au Conseil d’administration du Pacte mondial, ce qui constitue une belle reconnaissance de l’engagement avant-gardiste des entreprises françaises dans la promotion des valeurs onusiennes. Je me réjouis de ces 20 années de progrès. Beaucoup a été fait, et beaucoup reste à faire afin de poursuivre la trajectoire prise par l’initiative. Le Pacte mondial est désormais pleinement intégré au système onusien : la nomination de Sanda Ojiambo en tant que Sous-secrétaire générale de l’ONU chargée du Pacte mondial par Antonio Guterres renforce encore davantage ce positionnement. 

Kofi Annan fut visionnaire en créant un pont entre les entreprises et l’ONU. Nous avons saisi cette initiative il y a 20 ans en France. Trois entreprises ont joué un rôle majeur dans la construction de notre réseau : Carrefour, Danone et Schneider Electric. Plus de vingt ans plus tard, les entreprises contribuent plus que jamais à l’agenda des solutions au cœur des transitions du XXIe siècle à vivre et accélérer. La mobilisation autour des enjeux ESG, devenue stratégique, est aussi un ferment de santé, d’attractivité et de performance des entreprises. Tel est précisément l’objectif du Pacte mondial : susciter les transformations des modèles d’affaires, afin que le secteur privé contribue au défi de l’Agenda 2030, et accompagner et unir les entreprises pour réussir.

Schneider Electric a beaucoup appris de son investissement en faveur des Dix principes et de l’intégration des ODD, mais aussi en les partageant dans son écosystème. Cela a été une expérience apprenante de premier plan pour construire notre trajectoire de progrès. En devenant un leader sur les enjeux de la transformation numérique afin d’accompagner ses partenaires dans leur décarbonation, Schneider Electric a saisi de ce compagnonnage l’importance de porter en cohérence tous les engagements de la responsabilité d’entreprise. Portés ensemble par notre « Schneider Sustainability Impact », ils se renforcent et s’enrichissent. C’est pourquoi j’ai pris la mission, dans le cadre du Conseil d’administration du Pacte mondial, d’être l’ambassadeur des enjeux du salaire décent.  

À travers notre mobilisation pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique nous mesurons combien l’objectif à moyen terme de la neutralité carbone est aujourd’hui aligné avec l’urgence à court terme de la transition énergétique. La transformation vers la neutralité carbone nécessite de repenser nos standards industriels, de construction, mais aussi de mettre en œuvre les conditions propices à cette transformation. Cela induit de repenser les mécanismes de marché vers une économie décarbonée, avec des politiques publiques plus modernes et appropriées au monde de demain. Par sa capacité à faire dialoguer acteurs du secteur privé et du secteur public et son rôle de point d’entrée des entreprises françaises à l’ONU, le Pacte mondial Réseau France aura inévitablement un rôle prépondérant à jouer dans les années à venir, afin de faire de la France un moteur dans l’atteinte des Objectifs de développement durable.

La démarche RSE de deux dirigeants de PME

© CETUP

Laurence Capossele

Laurence Capossele est Codirigeante
de CETUP et Secrétaire du Pacte mondial Réseau France.

“Pour que la démarche RSE fonctionne, en interne ou en externe, elle doit émaner de la personne qui dirige l’entreprise. Si les valeurs ne sont pas incarnées à ce niveau de l’entreprise, le processus ne peut pas fonctionner.”

© Mathieu Delmestre

Bruno Duval

Bruno Duval, Président directeur général de Savco, est trésorier et vice-président en charge des PME.

“Au Pacte mondial, les entreprises n’ont rien à vendre. Elles viennent pour se rencontrer, réfléchir sur la manière avec laquelle mettre en place toutes les actions de leur démarche RSE, dans un lieu où l’anticipation est le maître mot.”

Comment s’engage-t-on formellement sur la voie de la RSE lorsque l’on dirige une PME ?

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Bruno Duval. Il y a toujours eu, chez moi, une conscience importante sur ces sujets. En 2009, j’ai repris une chaudronnerie dans le secteur de l’hydroélectricité. Nous avons rapidement fait face à une concurrence à bas coûts qui menaçait notre activité. S’est alors posée la question des performances et du carnet de commandes. Que faire? Exporter les savoir-faire en Roumanie, et devenir suiveur, ou conserver l’outil industriel et les services en France ? Pour rester, il fallait innover et investir, mais aussi améliorer l’image perçue de l’entreprise et renforcer la marque. J’ai ainsi décidé de formaliser une démarche RSE, ce qui me correspondait bien. Il m’a alors fallu trouver les personnes qui allaient m’aider dans cette voie. Pour une PME menacée, aux moyens limités, cette étape forcément difficile.

Un collègue m’a alors recommandé de consulter le site internet de l’ONU, notamment une rubrique au sujet d’un certain «Global Compact» (ou Pacte mondial en français) . J’y ai trouvé les CoP, qui m’ont permis de dénicher des idées concrètes. Nous avons alors commencé par mettre en place quelques actions simples au sein de l’entreprise. Nous avons adhéré au Pacte mondial en 2012 et avons reçu le trophée de la meilleure CoP en2014. Je me suis ensuite investi dans le cadre du Club PME Climat. Très rapidement, tous les sujets se sont agrégés et le Pacte mondial est devenu un véritable moteur de formalisation de notre démarche. Ce parcours nous a permis de passer d’une entreprise de travaux à une entreprise de projets, avec des valeurs. Cela nous a beaucoup servi, même si ça ne fait pas tout.

Laurence Capossele. Pour CETUP, nous parlerons plutôt de formalisation de la démarche RSE. La responsabilité sociétale était présente dès le départ dans notre mode de gestion, sans que nous le sachions. Jean-Pierre Capossele et moi avions 20 ans en 1988 lorsque nous avons décidé de monter une société de coursier urbain, avec un premier scooter. Nous avons développé l’activité pendant une quinzaine d’années, puis Internet est arrivé en 2000 et nous avons vite compris que nous risquions de disparaître.

Plutôt que de changer de métier, nous avons alors fait le choix d’évoluer vers le transport de longue distance, avec des véhicules légers. Les gens nous conseillaient de recourir à des sous-traitants étrangers, mais nous avons décidé de maintenir un service qualitatif et sécurisé, avec nos propres moyens, en créant des emplois en France, avec de bonnes conditions de travail. Nous étions précurseurs dans ces domaines, d’autant que Jean-Pierre a acheté dès 1992 un véhicule roulant…au gaz ! Nous étions donc déjà engagés dans une démarche RSE, mais sans en avoir conscience.

En 2010, j’ai rencontré une coach d’entreprise qui m’a dit : « Vous parlez tout le temps d’humain, d’environnement, de qualité et de sécurité. Vous appliquez un management par les valeurs », ajoutant que nous sommes plutôt une exception. Par la suite, Schneider Electric, un client, suivant avec intérêt notre démarche environnementale, nous a proposé de recharger les véhicules électriques que l’on venait d’acquérir sur leurs bornes. Voici un exemple de l’expression directe de l’ODD 17, par un partenariat entre un grand groupe et son fournisseur, pour atteindre un objectif commun. C’est d’ailleurs à la demande de Schneider Electric que nous avons adhéré au Pacte mondial en 2011. Au même moment, nous avons été identifiés dans le palmarès Women Equity des 50 PME ou ETI, dirigés par une femme ou un couple, les plus avancées en matière de performance économique. Cette même année, nous avons également été lauréats de leur premier trophée RSE. Finalement, la RSE était intégrée à notre mode de gestion de manière instinctive, elle s’est simplement imposée à nous, car elle correspondait à nos valeurs.

Les 21 entreprises ambassadrices du Pacte mondial Réseau France ont pour mission de promouvoir les Dix principes du Pacte mondial et les 17 ODD sur leur territoire et auprès de leurs parties prenantes. © Mathieu Delmestre

“Le Pacte mondial nous permet d’exprimer les convictions profondes que nous avons en nous, de façon naturelle. Ces partages d’expérience nous redonnent confiance et nous permettent de garder le cap et de tenir bon sur nos convictions.”

– Laurence Capossele

Au-delà de l’engagement personnel, comment réussir à impliquer ses parties prenantes dans la démarche ?

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Bruno Duval. Certains pans de la RSE ont fait l’objet d’une prise de conscience généralisée ces dernières années. Toutefois, en cette période de crise, nous constatons aussi un repli des valeurs dans les pratiques commerciales, notamment au sein des grands groupes. Nous assistons alors à une forme de schizophrénie : ces entreprises peuvent demander à leurs responsables RSE d’être plus vertueux et à leurs dirigeants commerciaux de serrer la vis des fournisseurs, pour récupérer de la marge.

Laurence Capossele. Ce n’est pas parce qu’une PME a mis en place une véritable démarche RSE et défend ces valeurs que ses marchés sont acquis aisément. Je préciserais même qu’il est demandé à une PME engagée dans une dynamique RSE de justifier et prouver encore plus sa démarche. Et du jour au lendemain, les engagements communs entre donneur d’ordre et fournisseurs peuvent être remis en question. Il faut toujours veiller à rappeler ces valeurs à ses parties prenantes. C’est aussi en cela que le rôle d’entreprise ambassadrice du Pacte mondial Réseau France est important. Il permet d’embarquer les autres sociétés de nos régions dans ce processus. Pour que la démarche RSE fonctionne, en interne ou en externe, elle doit émaner de la personne qui dirige l’entreprise. Siles valeurs ne sont pas incarnées à ce niveau de l’entreprise, le processus ne peut pas fonctionner.

Bruno Duval.
Il y a dix ans, en région, nous avions du mal à convaincre autour de nous. Aujourd’hui les entreprises viennent à nous pour savoir comment, concrètement, nous avons mis en place une dynamique RSE au sein de nos entreprises. Il faut rappeler tout ce qu’elle nous a apporté. Pour Savco, la RSE a apporté beaucoup de visibilité. Entant que dirigeant, le Pacte mondial m’a également fait gagner beaucoup de temps, en me permettant d’intégrer très rapidement les enjeux à venir.

Laurence Capossele. Personnellement, je suis heureuse, aujourd’hui, de pouvoir expliquer aux PME comment nous avons procédé et pouvoir les aider à se préparer, par exemple, aux nouvelles réglementations en matière de reporting extra-financier.

Bruno Duval. Au Pacte mondial, nous avons depuis longtemps conscience des évolutions du cadre légal de la RSE. Les lois environnementales ont toujours été anticipées. Cela nous permettait de travailler, très tôt, sur différentes stratégies.

Laurence Capossele. Il en va de même avec l’anticorruption. Des rapports du Pacte mondial nous ont permis de mieux appréhender les différentes évolutions réglementaires liées à ces enjeux. Nous avons ainsi pu former le personnel, en lui expliquant les choses très concrètement. Surtout, nous nous sentons prêts et en avance par rapport aux autres entreprises.

Savco a reçu en 2014 le trophée de la meilleure Communication sur le Progrès, dans la catégorie Première CoP. © Pacte mondial Réseau France

“Certains pans de la RSE ont fait l’objet d’une prise de conscience généralisée ces dernières années. Toutefois, en cette période de crise, nous constatons aussi un repli des valeurs dans les pratiques commerciales.”

– Bruno Duval

Concrètement, comment utilisez-vous les Dix principes du Pacte Mondial et les 17 ODD au quotidien ?

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Bruno Duval. Je suis entré au Pacte mondial en découvrant les Communications sur le Progrès (CoP) – qui s’appuient sur les Dix principes et les ODD – des entreprises adhérentes. Ces CoP m’ont permis de trouver les premières idées concrètes à mettre en place. La RSE est un domaine très large. Les 17 ODD aident à structurer, à communiquer et à présenter les sujets.

Laurence Capossele. Les Dix principes relatifs au respect des droits humains, aux normes internationales du travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption font partie de notre langage courant, tout comme les ODD. Nous avons également travaillé sur les 169 cibles qui précisent le contenu des 17 ODD, même s’i lest forcément difficile de toutes les intégrer, surtout pour une PME. Auparavant, je m’étais appuyée sur les normes ISO 9001, 14 001 et 45 001, liées au management de la qualité, au management environnemental et à la santé et sécurité au travail.

Bruno Duval. Les guides du Pacte mondial consacrés à l’appropriation des ODD par les PME ont été une révélation pour moi. Je n’ai pas inventé grand chose: j’ai observé les meilleures pratiques, et peut-être ai-je fait preuve d’un peu de logique. Ensuite, je me suis appuyé sur mon personnel, qui arrivait avec ses propres idées. Nous avons ensuite avancé comme une PME, c’est-à-dire très concrètement. L’intégration de la RSE au sein de la stratégie et la définition d’une politique sur le sujet sont venues après. D’abord, nous avons mis des choses en place au sein de l’entreprise. Ensuite, nous nous sommes aperçus que ces actions de terrain étaient cohérentes et homogènes. La démarche RSE n’a pas été vécue comme une rupture, car elle s’est appuyée sur le bon sens humain.

Que vous apportent les échanges menés au sein du Pacte mondial Réseau France ?

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Laurence Capossele. Le Pacte mondial nous permet d’exprimer les convictions profondes que nous avons en nous, de façon naturelle. Ces partages d’expérience nous redonnent confiance et nous permettent de garder le cap et de tenir bon sur nos convictions. Ce n’est pas un réseau business, j’apprécie beaucoup cette dimension très noble. Les échanges transparents entre grands groupes, ETI et PME, nous éclairent beaucoup, en tant qu’entrepreneurs, dans la gestion de nos entreprises.

Bruno Duval. Ces échanges nous aident également à comprendre pourquoi certains clients se comportent de telle ou telle façon. Nous pouvons ainsi mieux comprendre leur fonctionnement interne. Les entreprises ne ressentent pas de gêne au moment de partage leurs expériences au Pacte mondial, puisque ce n’est pas un lieu de business, mais un lieu d’échange et de partage de la connaissance. Le Pacte mondial est unique en son genre, car c’est la seule initiative internationale d’intérêt général, qui ne puisse pas être taxée de mercantiliste. L’association représente 42 % du PIB français, 46 % des emplois, la majorité du CAC 40 et du SBF 120,ce qui lui confère un caractère universel. Ici, les entreprises n’ont rien à vendre. Elles viennent pour se rencontrer, réfléchir sur la manière avec laquelle mettre en place toutes les actions de leur démarche RSE, dans un lieu où l’anticipation est le maître mot. Et sur les enjeux majeurs à venir, le réseau organise des échanges et propose des supports, qui ont la vocation d’être pratiques. C’est unique.

L’oeil des réseaux locaux du pacte mondial

© UN Global Compact – Joel Sheakoski

Cristina Sánchez

Cristina Sanchez a intégré le réseau espagnol du Pacte mondial en 2007. Elle en est la Déléguée générale depuis 2018.

“Nos réseaux locaux ont grandi ensemble : nousavons pu constater que la force du Pacte mondial des Nations Unies réside dans son approche globale des sujets liés au développement durable et que les spécificités locales de chaque pays apportent une réelle valeur ajoutée.”

© UN Global Compact – Joel Sheakoski

Steve Kenzie

Steve Kenzie dirige le réseau britannique depuis 2007. De 2020à 2022, il a notamment été Président du Comité régional des réseaux locaux pour l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord, Coprésident du Comité général des réseaux locaux et par cette occasion, membre du Conseil d’administration du Pacte mondial.

“Le Pacte mondial des Nations Unies est présent dans 162 pays, auprès des parties prenantes clés. Ses réseaux locaux lui permettent d’exercer une influence qui ne serait pas possible au sein d’une organisation dotée d’une gouvernance centralisée.”

© Mathieu Delmestre

Nils Pedersen

Nils Pedersen est Délégué général du Pacte mondial Réseau France depuis 2021.

“Nos réseaux locaux ont grandi ensemble : nous avons pu constater que la force du Pacte mondial des Nations Unies réside dans son approche globale des sujets liés au développement durable, et que les spécificités locales de chaque pays apportent une réelle valeur ajoutée.”

Comment percevez-vous l’articulation entre le Global Compact Office et la diversité de réseaux locaux, avec des contextes économiques variés, au sein d’une même stratégie globale ?

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Steve Kenzie. Dans le domaine du développement durable, il est courant de faire usage de l’expression « penser globalement, agir localement ». L’une de nos plus grandes forces est d’être capables d’articuler nos Dix principes, pas seulement à l’échelle d’un pays mais aussi à l’échelle d’un territoire. Le Pacte mondial des Nations Unies est présent dans 162 pays, auprès des parties prenantes clés. Ses réseaux locaux lui permettent d’exercer une influence qui ne serait pas possible au sein d’une organisation dotée d’une gouvernance centralisée. Cela se manifeste régulièrement avec d’autres acteurs de notre secteur, qui portent les mêmes sujets, mais éprouvent plus de difficultés car ils ne disposent pas de notre implantation locale. Cette articulation entre le global et le national représente bien sûr un défi, mais nous l’avons relevé collectivement au cours des cinq dernières années. En effet, nous constatons désormais une véritable convergence entre réseaux locaux. La création des Comités régionaux (qui rassemblent l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord pour le Comité couvrant nos trois pays) et des standards de qualité des réseaux locaux nous a notamment aidés à construire un environnement de travail qui facilite la collaboration, sans faire de compromis dans la façon dont nous opérons. 

Tout ceci est bénéfique pour le Pacte mondial et le réseau britannique : des initiatives mondiales comme les accélérateurs et l’académie ont permis de diffuser les valeurs du Pacte mondial au niveau local. Nous avons encore des efforts à mener sur la connaissance et l’accessibilité de nos contenus, à travers les traductions et en apportant un plus grand soutien aux besoins spécifiques des réseaux non anglophones par exemple. Il existe une réelle opportunité de tirer davantage parti de l’excellent travail de nos trois réseaux locaux au niveau global, car beaucoup de pays pourraient bénéficier de nos programmes en anglais, en français et en espagnol.

Cristina Sánchez. Je partage le point de vue de Steve. Nos réseaux ont grandi ensemble : nous avons pu constater que la force du Pacte mondial des Nations Unies réside dans son approche globale des sujets liés au développement durable, et que les spécificités locales de chaque pays apportent une réelle valeur ajoutée. Les différents enjeux contemporains sont bien évidemment mondiaux, mais doivent s’articuler d’une manière locale. En ce sens, les réseaux locaux représentent un atout essentiel, par leurs connaissances spécifiques de contextes économiques qui leur sont propres. Ce qui peut fonctionner dans un pays ne fonctionnera pas forcément dans l’autre en termes de responsabilité sociétale des entreprises, ce qui ajoute naturellement une certaine complexité. 

Le Pacte mondial s’est beaucoup développé ces dernières années, et ce à tous les niveaux. Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus forts. De nombreux outils ont été développés pour les entreprises par le siège à New York, et sont complétés par les actions mises en œuvre localement. Les différentes natures de nos réseaux font que nous disposons toujours d’une marge de progression au niveau de la coordination, mais il est évident que nous sommes dans la bonne direction.

Nils Pedersen. Étant arrivé plus récemment au Pacte mondial, j’ai un regard un peu différent. La première chose qui m’a frappé, c’est le grand niveau de maturité de nos différents collègues, formidablement impliqués et motivés dans la réussite de notre initiative, malgré les obstacles qu’ils peuvent parfois rencontrer. Je pense que nous sommes passés d’une initiative avant-gardiste, un peu conceptuelle il y a 20 ans, à une organisation qui fonctionne assez bien aujourd’hui. Même si le Pacte mondial est très vertical et institutionnel, par sa nature onusienne, j’observe qu’il y a beaucoup de souplesse accordée aux réseaux locaux, permettant une vraie liberté dès lors que l’on s’inscrit dans les objectifs stratégiques de l’organisation. Le Pacte mondial est finalement une idée très moderne de gouvernance mondiale, qui nous permet d’avoir une approche holistique face aux problèmes actuels.   
 
Nous n’avons pas les mêmes enjeux que nos homologues sud-américains ou sud-asiatiques. Autre difficulté, le vocabulaire lié au développement durable est très anglo-saxon, et des mots comme accountability ou responsibility ne signifient pas la même chose en France, compte-tenu de nos différents contextes économiques, sociaux, politiques et historiques. Nous nous retrouvons néanmoins autour d’un agenda commun, ce qui permet de conserver les mêmes objectifs et les mêmes standards dans chacun des réseaux, tout en les implémentant différemment compte tenu de nos réalités locales. Finalement, les différents réseaux font face aux mêmes sujets de gouvernance. De nos échanges ressort aussi souvent le terme de “diplomatie économique”. En faisant partie des Nations Unies, l’échange, le débat, la confrontation de différents points de vue font partie intégrante de nos missions et rythment nos rapports avec les entreprises.

© UN Global Compact – Joel Sheakoski

“L’Europe a l’occasion de se positionner comme une force du développement durable au niveau mondial et le Pacte mondial des Nations Unies comme une référence pour guider le secteur privé.”

– Cristina Sánchez

De nombreuses politiques et réglementations en lien avec le développement durable ont émergé en Europe, à l’échelle nationale et européenne, à l’image de la directive CSRD. Quel pourrait être l’impact de cette évolution normative pour le Pacte mondial et les réseaux locaux européens, et quelles opportunités peuvent-ils aussi en tirer ?

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Cristina Sánchez. En Espagne, ce changement est souvent désigné comme un « tsunami normatif et législatif ». Les entreprises le perçoivent comme une opportunité, mais n’y sont pas forcément préparées, étant donné la rapidité de ces évolutions. Les entreprises ont besoin que les réseaux locaux du Pacte mondial puissent leur fournir les outils pour comprendre ces changements, et en identifier les bénéfices potentiels. L’Europe a l’occasion de se positionner comme une force du développement durable au niveau mondial et le Pacte mondial des Nations Unies comme une référence pour guider le secteur privé. 

Ces évolutions sont particulièrement complexes et nous constatons une montée en puissance et en technicité sur ces sujets. En tant que Déléguée générale, j’ai ressenti la nécessité de devoir me former très vite sur de très nombreux nouveaux sujets ; les entreprises doivent inévitablement ressentir la même chose. Ces défis normatifs doivent néanmoins être transformés en opportunités. Nous devons dépasser les craintes liées à cette législation, notamment sur les difficultés économiques que pourrait rencontrer l’Europe face aux autres régions du monde. Au contraire, cette évolution de la réglementation doit être l’occasion de créer des opportunités économiques, en mettant en avant les valeurs du développement durable. 

Nous, réseaux locaux, devons veiller à ce que le prisme anglo-saxon du Pacte mondial des Nations Unies ne prenne pas totalement le dessus sur les enjeux européens. C’est d’ailleurs pour cette raison que les réseaux européens plaident pour la création d’une représentation du Pacte mondial à Bruxelles, à la fois pour mieux comprendre ces problématiques mais aussi pour créer des synergies entre l’Union européenne et notre organisation.

Nils Pedersen. A contrario, l’Union européenne s’est souvent désintéressée, ces dernières années, de ce que faisaient les Nations Unies. En 2015, quand les Objectifs de développement durable furent adoptés, l’UE ne se souciait pas vraiment pas de cet agenda commun, le considérant comme trop international et ne concernant pas l’Europe. Aujourd’hui, dans la nouvelle directive CSRD, elle y fait constamment référence et a pleinement intégré les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et les Objectifs de développement durable pour son marché intérieur. L’Union européenne revient ainsi aux fondamentaux, 30 ans après le Sommet de la Terre à Rio qui édictait une définition partagée et commune du développement durable. Bien entendu, cela n’empêche pas les débats politiques sur les questions des chaînes de valeur, ou sur les notions de double ou simple matérialité entre l’EFRAG et l’ISSB. Le Pacte mondial a l’opportunité de démontrer la plus-value de son initiative dans un moment où le réglementaire semble prendre le pas sur les engagements volontaires. Ce n’était pas le cas il y a 20 ans, ce qui donnait alors un avantage à une initiative comme le Pacte mondial. Mais c’est aussi une opportunité pour nous de démontrer que réglementation et volontariat ne s’opposent pas et que nous pouvons pleinement nous engager dans une démarche européenne.

Steve Kenzie.  La stratégie du réseau britannique repose sur trois piliers : inspirer, permettre l’action et façonner un environnement propice à des entreprises durables. D’une certaine manière, la nouvelle directive CSRD nous permet de contribuer à deux de ces piliers. Pour nous, la réglementation peut représenter un puissant moteur pour inciter les entreprises à s’inscrire sur le chemin de la durabilité. Jusqu’à présent, nous comptions principalement sur les investisseurs pour favoriser la durabilité des entreprises. L’adoption de nouvelles réglementations, avec une approche plus directive, contribue justement à créer des incitations et des ambitions pour que les entreprises progressent. C’est aussi une manière de façonner l’environnement des affaires, pour se situer à l’avant-garde en matière de durabilité. La CSRD est une opportunité pour notre initiative, en raison de notre relation directe avec les entreprises. Ces dernières ont besoin d’aide pour se conformer à ces exigences, et le Pacte mondial est parfaitement positionné pour fournir cet accompagnement. La question d’un éventuel désavantage compétitif des entreprises européennes, engendré par l’obligation de mettre en œuvre une transition plus rapide que leurs concurrentes internationales, est intéressante, et relève peut-être plus d’une réflexion théorique. Si nous nous projetons dans un avenir où la durabilité constitue la norme, nous pouvons alors voir dans cette réglementation un moyen pour les entreprises européennes de prendre les devants et de construire un avantage concurrentiel pour l’avenir.

© UN Global Compact – Joel Sheakoski

“Les instruments comme la CSRD sont souvent perçus comme des outils technocratiques visant à limiter les champs d’actions d’une entreprise.En vérité, ces éléments font partie d’un projet commun et d’une réponse aux défis actuels en ne laissant personne de côté.”

– Nils Pedersen

À mi-chemin de l’Agenda 2030, comment les ODD et les Dix principes ont influencé l’appropriation du développement durable par les entreprises, et quels obstacles restent à surmonter pour les 7 prochaines années ?

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Nils Pedersen. Les enjeux climatiques mis en lumière par le GIEC font du climat la priorité pour les États et les entreprises, qui ont parfois tendance à délaisser les autres sujets. Il y a un besoin essentiel de leur rappeler que les 17 ODD forment un ensemble, qu’ils sont interdépendants et tout aussi important les uns que les autres. Afin d’amorcer véritablement une transition juste, il est nécessaire d’articuler l’environnemental et le social, ce qui n’est pas forcément évident vu le manque d’indicateurs de mesure des problématiques sociales, qui ne sont pas aussi claires qu’une courbe d’émissions de CO2.  

Nous évoquons beaucoup les outils, les réglementations, les objectifs et les normes, mais nous avons tendance à oublier le sens de notre action. Les instruments comme la CSRD sont souvent perçus comme des outils technocratiques visant à limiter les champs d’actions d’une entreprise. En vérité, ces éléments font partie d’un projet commun et d’une réponse aux défis actuels en ne laissant personne de côté. C’est notre rôle de rappeler aux entreprises que tout cela s’inscrit dans un cadre beaucoup plus global, qui vise à créer un monde où chacun pourra vivre décemment tout en préservant nos écosystèmes.  

Notre mission est aussi de rappeler à certaines entreprises, notamment les PME, que l’agenda les concerne et qu’il est fait pour elles, même si son échelle est globale. Parfois, certaines entreprises sont réfractaires à l’idée de s’engager en faveur des ODD, notamment sur la pauvreté ou la lutte contre les inégalités, et ne vont pas s’en soucier. Elles peuvent estimer que acteurs politiques seraient les seuls légitimes à agir.  Au contraire, avec l’Agenda 2030, les entreprises ont une légitimité et une responsabilité claire sur ces enjeux, sans justement être taxées de faire de la politique. Il y a 20 ans, l’entreprise était principalement dans une logique de dégager du profit pour ses actionnaires. Aujourd’hui, grâce à une initiative comme le Pacte mondial, elles sont des acteurs de l’avenir de la planète. Désormais, les entreprises peuvent et doivent se soucier des problèmes sociaux et environnementaux.  Elles ont une responsabilité à part entière sur leurs territoires.

Steve Kenzie. L’accent semble aujourd’hui être essentiellement mis sur le climat, en particulier sur la décarbonation. Cela doit être une priorité absolue, j’en conviens, mais elle ne peut pas être la seule et unique. La décarbonation est devenue un exercice de conformité, et il est très important d’associer le climat à l’ODD 13, faisant ainsi partie d’un programme holistique de durabilité, pour créer l’avenir que nous voulons. Ce référentiel très complet qu’apportent les ODD est d’autant plus précieux qu’il est l’aboutissement d’un processus réellement inclusif et mondial. L’ensemble des 193 États membres y ont unanimement adhéré. Les entreprises ont une véritable possibilité d’aligner leurs stratégies sur ces objectifs.

Cependant, certains gouvernements ne jouent pas encore leur rôle en faveur les ODD et ne sont pas sérieusement impliqués dans l’atteinte de ces objectifs. Si c’est bien le cas dans certains pays, ça ne l’est pas au Royaume-Uni, où seules les grandes entreprises font référence aux ODD. Pour nous, c’est évidemment un axe de travail majeur pour les sept prochaines années. En ce sens, j’ai bon espoir que l’état des lieux des ODD, qui sera présenté en septembre, puisse pointer du doigt les retardataires, les obliger à prendre les ODD plus au sérieux, et ainsi à investir significativement pour la réalisation de l’Agenda 2030.

Cristina Sánchez. Les ODD ont clairement marqué un tournant pour les entreprises, avec la définition d’un agenda commun. Des initiatives intéressantes existaient déjà, mais l’Agenda 2030 a la particularité de définir des objectifs réellement communs pour les gouvernements, le secteur privé et la société civile. Cet agenda peut parfois être perçu comme trop généraliste par les entreprises, mais nous avons su le matérialiser au Pacte mondial, en le précisant avec des indicateurs spécifiques. Aujourd’hui, nous ne sommes cependant pas sur le bon chemin pour l’atteinte des ODD. Nous nous en sommes davantage éloignés avec la pandémie, la guerre en Ukraine et les incertitudes économiques. Si nous constatons une bonne connaissance de l’Agenda 2030, cela ne s’est pas encore traduit pas de véritable actions et ambitions pour le réaliser. Il est donc nécessaire de fixer rapidement des objectifs quantitatifs plus ambitieux. 

L’intégration des PME est également très importante. Celles-ci peuvent en effet se placer en retrait, et ne pas se sentir réellement actrices du changement, bien qu’elles constituent la majeure partie du tissu économique. Même si les PME n’identifient pas forcément l’Agenda 2030 comme le leur, le plus important est de les inciter à mettre en place des actions concrètes qui s’inscrivent dans cet agenda.

De toute évidence, le financement de l’Agenda 2030 ne proviendra pas des États. En ce sens, il faut donc trouver la solution pour mettre le secteur financier à contribution. En Espagne, le gouvernement a adopté de nombreuses politiques publiques en faveur de l’Agenda 2030. Aujourd’hui, nous sommes face à la possibilité d’un changement de gouvernement, qui risquerait d’inverser cette tendance. En tant qu’initiative onusienne, nous essayons naturellement d’être neutres dans ce débat politique, mais il y a tout de même une crainte que des partis politisent l’Agenda 2030 et le développement durable, ce qui pourrait alors devenir un défi important.

© UN Global Compact – Joel Sheakoski

“Ce référentiel très complet qu’apportent les ODD est d’autant plus précieux qu’il est l’aboutissement d’un processus réellement inclusif et mondial. L’ensemble des 193 États membres y ont unanimement adhéré.”

– Steve Kenzie

La RSE au coeur de l’action des entreprises

© Pierre Victoria, Plateforme RSE

Pierre Victoria

Pierre Victoria préside depuis 2022 laPlateforme RSE, dont il est membre au titre du Comité 21. Directeur du développement durable de Veolia de 2012 à 2021, il a également siégé auConseil d’administration de 2014 à 2018 en tant que représentant des salariés. Il fut député du Morbihan de 1991 à 1993.

“Si l’on arrive à définir collectivement l’outil et
à définir l’ensemble des critères de mesure d’impact, on légitimera le système et on apprendra à le piloter ensemble, de manière évolutive et positive. Le modèle qui en sortira pourra peut-être bouleverser la relation entre l’entreprise et la société.”

Comment a évolué la relation entre la société et l’entreprise depuis 20 ans ?

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Est-ce que l’entreprise a un regard nouveau sur la société ? Ma réponse est profondément oui. S’il on remonte aux années 50, les conclusions du rapport Full RSE de l’institut de l’Entreprise sont très claires. On constate que l’entreprise française, pendant très longtemps, s’est contentée de se servir du et dans le monde dans lequel elle vivait, indifférente à son impact. Elle a certes créé de la prospérité et lutté en grande partie contre la pauvreté, mais aujourd’hui elle doit faire face à une attente très forte de son citoyen-consommateur et de sa citoyenne-consommatrice, qui lui demandent d’assumer ses responsabilités vis-à-vis de son écosystème. Ils et elles sont beaucoup plus attentifs au comportement de l’entreprise dans leur choix d’achat d’un produit ou d’un service. L’entreprise doit faire face à des questions de réputation et d’image, et aujourd’hui, en France, celle des grandes entreprises, mais pas que, est controversée. Or, pour se développer, l’entreprise a besoin de retrouver de la légitimité, condition essentielle de sa durabilité. On est là sur un retournement historique.

Par ailleurs, depuis 20 ans, et de manière croissante, l’entreprise a découvert que les questions de la société avaient un impact sur sa productivité. Le premier élément clé de l’histoire est le sommet de Davos de 1999 au cours duquel est posée la question de la perception du monde dans lequel on évolue et dont la dimension environnementale et la dimension sociale ont un impact sur la durabilité de l’entreprise et sa capacité à assurer des missions de long terme. Un deuxième élément historique va accélérer le processus : la crise financière de 2028, qui ne va pas toucher que la sphère financière, mais remettre en cause la capacité de l’entreprise, en général, à avoir une responsabilité vis-à-vis de la société et de sa contribution au bien commun. Durant cette période s’est opérée une véritable prise de conscience que l’entreprise était, certes, une entreprise à objet économique, mais qu’elle avait une responsabilité vis-à-vis de la société, à laquelle elle ne pouvait plus déroger. 

Le troisième élément historique apparaît en 2015. Il s’agit des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, qui vont reconnaître à l’entreprise un rôle d’utilité publique vis-à-vis de la société et exiger d’elle le devoir d’assumer cette responsabilité pour légitimer son action.

Comment ressentez-vous l’appropriation des ODD par le secteur économique français, surtout dans une approche holistique et pas par le « ODD Picking », contraire à l’essence même des ODD, interconnectés ?

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Premièrement, les ODD sont la fusion, au niveau onusien, de l’agenda du développement, c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté, et de l’agenda du développement durable. Nés de cette fusion, les Objectifs de développement durable, doivent répondre à trois impératifs : lutter contre la pauvreté, protéger l’environnement et garantir la prospérité pour tous. À cet instant de l’histoire, une révolution s’opère, car les Nations Unies restent une affaire d’États. Pour la première fois a été reconnue la nécessité d’intégrer d’autres acteurs, en particulier les entreprises, les ONG et les collectivités locales, à la réalisation de ces objectifs communs. En disant que chacun des acteurs détenait une part de la solution pour atteindre les objectifs, il est apparu de manière plus claire pour l’entreprise, qu’on attendait d’elle qu’elle soit actrice du bien commun.

Le deuxième point important est que les ODD, en France, n’ont pas été appréhendés pour être un outil de pilotage de la politique de RSE ou du développement durable, au sein de l’entreprise, comme dans d’autres pays où l’État lui-même utilise les ODD comme grille d’analyse. Ici, les ODD restent un cadre de référence pour l’entreprise, qui, malheureusement, a tendance à se contenter de répondre à des objectifs pris un par un, en oubliant systématiquement le 17. Or, cet objectif définir comment, avec des alliances et des coopérations, élargir son modèle d’affaires pour mieux répondre aux attentes de la communauté humaine. C’est là qu’il y a aujourd’hui en France, à mon avis, un déficit de réflexion et d’interprétation sur le sujet des ODD.

Quel lien faites-vous entre la notion d’impact et l’évolution de la Communication sur le Progrès, proposée aux entreprises membres du Pacte mondial depuis cette année ?

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Le sujet de la mesure de l’impact, en France et en Europe, arrive à un moment clé de l’histoire. La politique européenne est un booster en matière de politique de RSE. La nécessité de mesurer son impact sur son écosystème va être déterminante, mais cela pose deux questions fondamentales. Quelle méthodologie des mesures d’impact et comment intégrer les ODD à ces mesures d’impact ? En quoi et comment les entreprises peuvent-elles remettre en cause leur modèle d’affaires, une fois mesuré l’impact ?

Dans un rapport de la Plateforme RSE de février 2022 consacré à l’impact, nous soulignons que cette notion même doit être éclaircie. L’impact mesuré est-il un impact réel, un impact avéré ? Est-ce un impact positif ou un impact négatif ? Est-il à long ou à court terme ? Est-il réversible ou non, pour la partie négative ?

La question fondamentale est de savoir comment faire pour accroître son impact positif et réduire son impact négatif. L’ODD 17 va jouer un très grand rôle à cet endroit. Or réduire ou modérer son impact négatif peut amener l’entreprise à se poser la question cruciale de l’abandon de son activité ou d’une partie de son activité, parce que la mesure de l’impact sur l’écosystème est trop mauvaise.

Si l’on arrive à définir collectivement l’outil, par rapport au sujet rémanent des parties prenantes, et à définir l’ensemble des critères de mesure, on légitimera le système et on apprendra à le piloter ensemble, de manière évolutive et positive. Le modèle qui en sortira pourra peut-être bouleverser la relation entre l’entreprise et la société. Je dis toujours aux entreprises que dans le contexte sociétal actuel, elles ne peuvent pas convaincre sans prouver.

Comment voyez-vous les PME s’adapter à cette nécessaire évolution des exigences de reporting extra-financier ?

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C’est un énorme sujet, parce que le discours sur la RSE avait du mal à percuter auprès des PME et des politiques. Il a fallu expliquer que c’était une nécessité, y compris pour la durabilité des entreprises, puisque cela répondait aux demandes de la société. Dans ce contexte politique, la Plateforme RSE a salué le rapport du Sénat sur la RSE qui explique, malgré l’absence de référence aux ODD, comment la RSE peut être une ambition et une opportunité pour la France, dans un contexte de réindustrialisation et de réappropriation du territoire, en lien avec leur chaîne de sous-traitants locaux.

À la Plateforme RSE, nous notons que les représentants des PME sont à la fois interrogatifs, mais aussi très positifs vis-à-vis de ces évolutions. À condition, bien entendu, que les exigences de reporting soient en cohérence avec la réalité structurelle et organisationnelle de ces entreprises. On doit laisser aux PME le temps d’inscrire les Objectifs de développement durable dans leurs modes de fonctionnement et d’y répondre. La réglementation doit être adaptée, avec des référentiels clairs, précis et certainement sectoriels.

© Pacte mondial Réseau France