L’adoption de la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD) cette année a mis le sujet de la responsabilité des entreprises multinationales sur le devant de la scène européenne. Pourtant, les débats autour de cette question ne sont pas récents. Depuis les années 1970, les dérives de la mondialisation ont suscité des réflexions sur la régulation des entreprises opérant dans plusieurs pays. Néanmoins, les tentatives d’élaborer un cadre juridique international réglementant les activités des entreprises multinationales ont échoué. Dans ce cadre, les principales institutions internationales ont pris l’initiative d’adresser leurs recommandations directement aux entreprises via des instruments novateurs.
Partie I : Les origines des Principes directeurs des Nations Unies
Les travaux des Nations Unies sur la régulation des multinationales remontent au début des années 1970. En 1974, les Nations Unies ont adopté la « Déclaration concernant l’instauration d’un nouvel ordre économique international » appelant notamment à « formuler, adopter et appliquer un code international de conduite pour les sociétés transnationales ». Un an plus tard, la Commission des sociétés transnationales a été constituée afin d’élaborer un tel instrument. Néanmoins, le projet a piétiné avant d’être abandonné en 1994. En 1998, la sous-commission des Nations Unies pour la prévention de la discrimination et la protection des minorités, un organe subsidiaire de la Commission des droits de l’homme, a entamé la rédaction d’un projet de norme. Abouti en 2003, ce projet n’a cependant pas été adopté par la Commission des droits de l’homme.
En 2005, la Commission des droits de l’homme a demandé au Secrétaire général de désigner, pour une période initiale de deux ans, un représentant spécial chargé de la question « Les droits de l’homme et les sociétés transnationales et autres entreprises ». Kofi Annan a confié ce mandat à l’universitaire américain John Ruggie. En juin 2008, Ruggie a présenté un cadre structuré autour de trois principes fondamentaux : l’obligation de protéger les droits humains incombant à l’État ; la responsabilité des entreprises de respecter les droits humains ; et la nécessité d’un accès plus effectif à des mesures de réparation. Le Conseil des droits de l’homme a accueilli ce cadre favorablement et a prolongé le mandat de Ruggie de trois ans afin de l’opérationnaliser. Pendant ces trois ans, Ruggie a poursuivi ses recherches et publié plusieurs rapports avant d’aboutir à la version finale des Principes directeurs, auxquels le Conseil des droits de l’homme a souscrit le 16 juin 2011.
Partie II : Le contenu des Principes directeurs
Les 31 Principes directeurs se structurent en trois parties et abordent des aspects fondamentaux et opérationnels. Ils reconnaissent :
1. Les obligations existantes qui incombent aux États de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
En synthèse, les États ont l’obligation de protéger lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux droits de l’homme sur leur territoire et/ou sous leur juridiction. Cela exige l’adoption de mesures appropriées pour empêcher ces atteintes, et lorsqu’elles se produisent, enquêter à leur sujet, en punir les auteurs, et les réparer par le biais de politiques, de lois, de règles et de procédures judiciaires.
Les États devraient énoncer clairement qu’ils attendent de toutes les entreprises domiciliées sur leur territoire et/ou sous leur juridiction qu’elles respectent les droits de l’homme dans toutes leurs activités. Ils devraient notamment appliquer des lois tendant à exiger des entreprises qu’elles respectent les droits de l’homme et leur fournir des orientations sur la manière de le faire dans toutes leurs activités.
2. Le rôle dévolu aux entreprises en qualité d’organes spécialisés de la société remplissant des fonctions particulières, tenues de se conformer à toutes les lois applicables et de respecter les droits de l’homme.
Les entreprises devraient respecter les droits de l’homme. Cela signifie qu’elles devraient éviter de porter atteinte aux droits de l’homme d’autrui et remédier aux incidences négatives sur les droits de l’homme dans lesquelles elles ont une part. Cette responsabilité porte sur les droits de l’homme internationalement reconnus, à savoir, au minimum, ceux figurant dans la Charte internationale des droits de l’homme et les principes concernant les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l’Organisation internationale du Travail.
Afin de s’acquitter de leur responsabilité en matière de respect des droits de l’homme, les entreprises doivent avoir en place des politiques et des procédures en rapport avec leur taille et leurs particularités, y compris :
- L’engagement politique de s’acquitter de leur responsabilité en matière de respect des droits de l’homme ;
- Une procédure de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme pour identifier leurs incidences sur les droits de l’homme, prévenir ces incidences et en atténuer les effets, et rendre compte de la manière dont elles y remédient ;
- Des procédures permettant de remédier à toutes les incidences négatives sur les droits de l’homme qu’elles peuvent avoir ou auxquelles elles contribuent
3. La nécessité que les droits et obligations s’accompagnent des voies de recours appropriées et efficaces en cas de violation.
L’expression « mécanisme de réparation » est utilisée pour décrire toute procédure judiciaire ou non judiciaire courante relevant ou non de l’État par laquelle des réclamations concernant des atteintes aux droits de l’homme commises par des entreprises peuvent être déposées et des recours formés.
Au titre de leur obligation de protéger contre les atteintes aux droits de l’homme commises par des entreprises, les États doivent prendre des mesures appropriées pour assurer, par le biais de moyens judiciaires, administratifs, législatifs ou autres, que lorsque de telles atteintes se produisent sur leur territoire et/ou sous leur juridiction, que les parties touchées ont accès à un recours effectif. En plus de mécanismes judiciaires, les États devraient fournir des mécanismes de réclamation non judiciaires efficaces et appropriés.
Les entreprises devraient établir des mécanismes de réclamation au niveau opérationnel ou y participer pour les individus et les collectivités qui risquent d’être lésés. Ces mécanismes permettent d’examiner les plaintes une fois qu’elles sont identifiées et de remédier rapidement et directement aux incidences négatives des entreprises.
Partie III : La promotion et la mise en œuvre des Principes directeurs
Les dispositifs de promotion et de mise en œuvre des Principes directeurs s’étendent bien au-delà du système des Nations Unies. En effet, un grand nombre d’administrations publiques, d’entreprises et d’organisations de la société civile font désormais référence aux Principes directeurs lorsqu’il s’agit d’aborder les liens entre les entreprises et les droits humains. L’influence normative des Principes est significative au niveau national, européen et international.
En France
En octobre 2011, la Commission européenne a invité les États membres à établir « des plans nationaux de mise en application des principes directeurs des Nations unies ». Pour y répondre, le gouvernement français a sollicité, en février 2013, l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Publié en 2017, ce plan, structuré autour des trois piliers « protéger, respecter et réparer », offre une vue d’ensemble des mesures déjà mises en œuvre et de pistes d’actions. Il s’appuie sur les recommandations de la CNCDH et de la Plateforme RSE. Le suivi et l’évaluation du plan et des résultats des actions engagées sont assurés par la CNCDH.
Dans l’Union européenne
Depuis 2011, plusieurs plans d’action de l’Union européenne ont affirmé l’importance de promouvoir et mettre en œuvre ces Principes. En 2016, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adressé aux États membres une recommandation les invitant à adopter des mesures législatives et autres pour s’assurer que les violations des droits de l’homme dans la chaîne de valeur d’une entreprise donnent lieu à une responsabilité civile, administrative et pénale. Cette ambition se traduit également sur le plan législatif de l’UE. En effet, plusieurs directives et règlements font aujourd’hui directement référence aux Principes directeurs des Nations Unies, dont la Taxonomie, la CSRD et la CSDDD.
Au niveau international
Au niveau international, les Principes directeurs des Nations Unies ont été intégrés dans les principales normes volontaires destinées aux entreprises. En 2011, la révision des Principes directeurs de l’OCDE a inclus un chapitre spécifique relatif aux droits humains inspiré des Principes directeurs des Nations Unies [26]. La même année, le Pacte mondial des Nations Unies a souligné que les Principes directeurs des Nations Unies « apportent une plus grande clarté conceptuelle et opérationnelle pour les deux principes des droits de l’homme du Pacte mondial ». En 2017, la Déclaration de principes tripartite (OIT) a été révisée afin de « tenir compte des évolutions survenues au sein de l’Organisation depuis la dernière mise à jour de cet instrument en 2006 », dont les Principes directeurs des Nations Unies.